L’Islande affronte la France le 3 juillet en quarts de finale de l’Euro 2016. L’occasion de se pencher sur l’économie de l’île qui est en croissance, avec 4% en 2015 après avoir choisi une voie originale pour faire face à la terrible crise de 2008.

Le quart de finale de l’équipe d’Islande face à la France dimanche 3 juillet à Saint-Denis sera – en attendant peut-être encore mieux – un succès inédit pour ce petit pays nordique de l’Atlantique Nord. Un succès justement apprécié par une grande majorité des 332.529 habitants de l’île qui ne doit pas en cacher un autre, celui de l’économie islandaise.

Le PIB islandais a progressé l’an passé de 4%, soit plus de deux fois plus vite que celui de l’UE et la zone euro, et deux fois plus vite qu’en 2014. Dans l’Union européenne, seule l’Irlande affiche une croissance supérieure à l’Islande. En mai, le taux de chômage était à 4,1 %, au plus bas depuis onze ans, alors que le taux d’activité est de 86,1 %. En zone euro, le chômage est à 10,1 % avec un taux d’activité de 70 %.

L’Islande est une petite économie, avec un PIB de 15 milliards d’euros. Mais c’est une économie qui se porte bien. C’est un pays les plus riches d’Europe. En 2015, il était huitième du continent en termes de PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat avec un niveau supérieur de 17 % à celui de la France et de 24 % à la moyenne de l’UE. L’île nordique revient pourtant de loin. Elle a traversé, à partir d’octobre 2008, une des pires crises financières de l’histoire. La gestion de cette crise est souvent présentée comme un exemple, parfois caricatural. Une chose est cependant certaine : cette gestion n’est pas entrée dans les canons de la théorie économique et s’est pourtant soldée par un succès. En cela, l’équipe islandaise de football ressemble un peu à l’économie du pays : elle a surgi de l’enfer et a surpris tout le monde.

Les « années folles »

Indépendante du Danemark depuis 1944, l’Islande a beaucoup souffert de la crise de la pêche, alors sa principale ressource, dans les années 1980-90. En 1991, un nouveau gouvernement est formé, dirigé par Davið Oddson, chef du parti de l’Indépendance qui lance le pays dans une vague de libéralisation avec, en tête, le modèle irlandais. Dix ans plus tard, la finance islandaise est largement dérégulée. Le but de cette politique est d’attirer les investisseurs étrangers pour augmenter la richesse du pays. L’Islande devient alors un pôle financier mondial que l’on utilise pour le carry trade, cette technique qui consiste grosso modo à emprunter dans des pays à taux bas (comme la zone euro) pour les placer dans des pays à taux élevés (comme l’Islande). L’argent abonde, la Bourse s’envole, les crédits se multiplient, la croissance atteint des rythmes astronomiques. En 2007, les actifs du secteur bancaire islandais représentent 1035 % du PIB de l’île et le secteur bancaire pèse 10,3 % du PIB islandais, trois fois plus qu’en 1997.

Choisir son sauvetage bancaire

Lorsque la crise financière mondiale éclate en septembre 2008, l’Islande est en première ligne. Les trois grandes banques du pays, Kaupthing, Glitnir et Landsbanki, ne peuvent plus se refinancer. Elles sont virtuellement en faillite. Partout, l’Etat renfloue les banques. En Irlande, le gouvernement décide le 30 septembre 2008 de garantir l’intégralité des dettes bancaires du pays, soit 235 % de son PIB (440 milliards d’euros). Mais Reykjavik choisit une autre voie. Le gouvernement islandais se contente de garantir les dépôts des Islandais dans les banques islandaises. Le reste des actifs est abandonné à son propre sort. Les trois banques sont nationalisées et scindées et une partie saine et une toxique. Mais ces « bad banks » ne bénéficient pas de la garantie de l’Etat. En revanche, les banques « saines » ont été recapitalisées par l’Etat à hauteur de 30 % du PIB et ont souvent géré directement le nombre incalculable d’entreprises en défaut de paiement.

Contrairement à ce que l’on entend souvent, l’Islande n’a donc pas refusé de sauver les banques, elle a choisi ce qu’elle voulait sauver dans son secteur bancaire. Le pays a choisi de préserver sa demande intérieure plutôt que ses créanciers internationaux. Elle a réduit un fardeau qui, de toute façon, eût été intenable pour l’économie islandaise. Ce choix était donc inévitable. L’élément remarquable, c’est que le gouvernement et la population se sont tenus à cette politique. Lorsqu’il a été question de rembourser les déposants britanniques et néerlandais clients de la structure islandaise Icesave, les Islandais ont, par deux fois, repoussé l’option d’un remboursement par référendum.

L’austérité, malgré tout

Ce choix dans les créanciers n’a pas permis d’éviter l’austérité. Pour renflouer la partie « saine » des banques et la banque centrale du pays, l’Etat a dû emprunter 3,2 milliards d’euros au FMI et à ses voisins scandinaves. La dette publique est passée de 28,5 % du PIB en 2007 à 96,4 % en 2015. Les dépenses publiques ont aussi été réduites en conséquence. Il y a bien eu socialisation des risques et transfert de la dette privée sur la dette publique, mais elle a été limitée et cela a permis à l’économie de rebondir plus rapidement parce que le fardeau qui a pesé sur les agents économiques a été plus faible que si l’Islande avait choisi de rembourser davantage de créanciers de ses banques.

L’effet de la dépréciation de la couronne

L’autre élément clé a été la dépréciation de la couronne islandaise. La monnaie a chuté de façon vertigineuse. Pour un euro, il fallait 82 couronnes islandaises début 2007. Deux ans plus tard, il en fallait 182, soit un recul de 55 %. Cette chute de la monnaie a conduit à une inflation qui a atteint 17 % et a rongé le pouvoir d’achat des ménages qui voyaient leurs salaires nominaux stagner. En revanche, cette dépréciation a permis de regagner rapidement de la compétitivité externe et, là aussi, à circonscrire les effets de la crise.

Le coût élevé de la crise

Malgré sa voie originale et sa monnaie propre, l’Islande de 2009-2010 n’était pas un paradis, loin de là. Au troisième trimestre 2010, après neuf trimestres de contraction en rythme annuel, le pays revenait à la croissance. Il faudra cependant attendre 2014 pour que le PIB islandais dépasse son niveau de 2008. En 2015, il le dépassait de 5 %. La « voie islandaise » était-elle plus efficace que celle qui a été choisie dans la zone euro en 2010 ? Pas pour l’Irlande, qui est sorti plus vite de la crise, mais moins en raison de la politique menée que d’éléments externes. En revanche, l’Islande semble être sortie plus rapidement de la crise que l’Espagne, et beaucoup plus que l’Italie, la Grèce ou le Portugal. Surtout, l’Islande semble moins menacée que la plupart de ces pays par le risque déflationniste et par la croissance molle. Les comparaisons sont cependant délicates dans la mesure où ces économies sont assez peu comparables à celle de l’Islande.

Une reprise par les exportations

Reste qu’il convient de ne pas trop surinterpréter la « voie islandaise ». D’abord, on l’a vu, elle était plus « contrainte » que « choisie ». Ensuite, le prix payé par les ménages islandais a été lourd. Le niveau de la consommation des ménages est encore inférieur en 2015 de 4% à son niveau de 2007. L’investissement en 2015 ne représentait que 63,9 % de son niveau de 2007. La croissance islandaise d’après la crise est une croissance des exportations : de biens (+28 % par rapport à 2007) et surtout de services (+52 % par rapport à 2007).  C’est donc bien les gains de compétitivité externe par la compression de la demande intérieure qui ont fait rebondir l’Islande. Les deux moteurs de la croissance du pays ont été principalement la pêche qui a bénéficié de la hausse des prix et de la demande de poissons et le tourisme. Le nombre de touristes qui ont visité le pays a crû de 27 % en 2015. C’est ici le fruit d’une politique active, avec notamment le développement des infrastructures et du marketing public et privé.

Mais on assiste aujourd’hui à un rééquilibrage rapide : au premier trimestre, la consommation des ménages a progressé sur un an de 7,1 %.  En 2015, le pays a connu un déficit commercial et c’est la demande intérieure qui a tiré la croissance. La page de la crise est définitivement tournée.

Une attitude distante face à l’UE

Après la crise, l’Islande a voulu adhérer à l’Union européenne pour bénéficier d’une certaine « protection ». Cette démarche initiée par le centre-gauche a cependant rapidement échoué sur l’écueil de la politique de pêche. Après le retour de la droite au pouvoir en 2013, la demande d’adhésion a été retirée, sans le référendum promis à ce sujet. Ceci a beaucoup irrité le sens démocratique des Islandais, mais les sondages donnent en réalité une majorité de près de 59 % contre l’adhésion à l’UE. Membre de l’Espace économique européen, l’Islande bénéficie de l’accès au marché unique et de la liberté de circulation, ce qui est crucial pour le tourisme et la volonté de faire de l’île une escale entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Mais l’EEE permet aussi à l’île de développer parfois ses propres choix, comme en 2008 ou dans l’affaire Icesave, et de bénéficier d’une protection de ses zones de pêche. L’adhésion à l’UE n’est donc pas très attirante pour le pays.

Changement d’approche sur la finance

Une des principales originalités islandaises réside surtout dans le traitement « moral » de la crise. L’Islande a ainsi été un des rares pays, avec l’Irlande, à établir des suites judiciaires à la crise. Les trois patrons des trois grandes banques ont été condamnés à 18 mois de prison, et beaucoup d’autres condamnations ont été prononcées. Même le premier ministre de 2008, Geir Haarde a été condamné sans sanctions par un tribunal en 2012. Désormais, la société islandaise est très sensible aux affaires financières. Lorsque la femme de l’actuel premier ministre Davið Gunnlaugsson a été cité dans l’affaire des Panama Papers, il a été contraint à la démission devant les manifestations géantes qui se sont tenus à Reykjavik. De nouvelles élections vont se tenir et le parti du premier ministre sortant, le parti progressiste, est menacé par une nouvelle formation, le parti pirate, qui pourrait arriver en deuxième position et qui prospère sur le rejet des partis traditionnels et du monde politique en général, ce qui est un élément commun à de nombreux pays qui ont connu la crise.

Les leçons de la crise islandaise

Quelles leçons retenir de la crise islandaise ? D’abord, elle permet de mettre en garde contre les effets de la financiarisation à l’extrême d’une économie. Ce mode de développement a un revers inévitable : celui de l’explosion violente de la bulle. Et les conséquences de cette explosion sont rarement positives pour la population, même lorsque, dans le cas islandais, tout est fait pour circonscrire le plus possible la crise. Ensuite, l’Islande prouve que les intérêts bancaires ne coïncident pas toujours avec l’intérêt général. Et qu’il est possible de se libérer des premiers au nom des seconds sans provoquer les catastrophes que les banquiers – c’est de bonne guerre – promettent initialement. La voie islandaise n’est pas forcément meilleure que les autres, mais son existence prouve qu’un gouvernement dispose toujours d’un choix concernant les mesures à prendre en cas de crise. Enfin, dernière leçon : un petit peuple peut apprendre beaucoup aux grands. L’équipe de France est prévenue.

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