Trois hommes vont être jugés pour avoir déterré volontairement puis revendu des pièces gallo-romaines. Une activité illégale, mais qui peut rapporter gros, et qui préoccupe les archéologues.

Nicolas Jacquard | 17 Mai 2015, 07h10 | MAJ : 17 Mai 2015, 07h10

 1En octobre 2012, trois chasseurs de trésor armés de poêles à frire avaient illégalement exhumé de champs de Laignes (Côte-d’Or) plus de 2 000 pièces gallo-romaines. Selon les spécialistes, il s’agirait de la solde de supplétifs gaulois, employés par les armées de César contre celles de Vercingétorix.
En octobre 2012, trois chasseurs de trésor armés de poêles à frire avaient illégalement exhumé de champs de Laignes (Côte-d’Or) plus de 2 000 pièces gallo-romaines. Selon les spécialistes, il s’agirait de la solde de supplétifs gaulois, employés par les armées de César contre celles de Vercingétorix. (LP/Yann Foreix.)

Laignes, Dijon (Côte-d’Or) De notre envoyé spécial
D’abord grave et diffus, le bip-bip des détecteurs de métaux s’envole subitement dans les aigus. Ce soir d’octobre 2012, trois hommes équipés de poêles à frire arpentent les champs de Laignes, petite commune près d’Auxerre.

 

Leur fascination pour l’art gallo-romain n’a rien de désintéressé. Les trois amis ont effectué plus de 100 km pour cette « visite » tout sauf fortuite.

Il y a plus de deux mille ans, Laignes était un point de passage obligé sur cette grande voie romaine reliant Auxerre à Langres. Vix, où fut trouvé l’un des plus formidables trésors gaulois de tous les temps, se trouve à moins de 20 km. Vertault — l’imposante cité antique de Vertillium — est plus proche encore. « Chaque fois que je vais à la pêche, je trébuche sur des morceaux de poteries, atteste Arnaud, un habitant de Laignes. Alors avec un détecteur, c’est sûr qu’ils se sont fait plaisir… » Un plaisir coupable et illégal, qui vaut à ces trois individus de comparaître mardi, avec deux autres comparses, devant le tribunal correctionnel de Dijon.

Poursuivis notamment pour vol de mobilier archéologique, tous sont bien insérés socialement. L’un est charcutier, l’autre gardien de résidence, un troisième métrologue. La rancœur des services officiels d’archéologie à leur encontre est à la hauteur de ce qu’ils ont déterré. Car ce soir-là, le cœur de ces prospecteurs, déjà familier des montées d’adrénaline, s’est littéralement emballé. Un premier quinaire en argent, soit la moitié d’un denier romain, est mis au jour. D’autres suivent à quelques mètres. Et c’est au final près de 2 000 pièces qu’exhument ces trois « braconniers de l’archéologie », selon Marie-Christine Tarare, la procureur de Dijon. « C’était comme une traînée de pièces, décrit Yves Pautrat, de la direction des affaires culturelles (Drac) de Bourgogne. Le contenant, en peau ou en bois, avait disparu au fil du temps. Le trésor n’était même pas en pleine terre. » Les spécialistes en sont convaincus : il s’agirait de la solde de supplétifs gaulois, employés par les armées de César contre celles de Vercingétorix.

Surveillés sur Internet

Conscients de la valeur de leur trouvaille, les « découvreurs » s’attellent à la garder secrète. Mais dans un groupe privé créé sur Facebook, plusieurs d’entre eux vantent régulièrement d’autres belles découvertes. Si belles qu’elles attirent l’œil. Un archéologue de l’Institut national de recherche et d’archéologie préventive (Inrap) parvient à infiltrer les discussions, enregistre des dialogues explicites. Ce marbre de l’âge du bronze ? « On va le vendre », propose l’un. Les photos s’échangent : pierres taillées, monnaies… « Ta belle tête gauloise, tu l’as encore ? interroge, avide, un brocanteur soupçonné d’avoir écoulé certaines marchandises. JE LA VEUX ! »

Fin 2013, l’Inrap prévient la justice. Les gendarmes de la section de recherche de Dijon identifient six profils suspects et sifflent, le 10 mars, l’épilogue de l’opération Archeo 21. Une dizaine de personnes sont interpellées en Côte-d’Or, mais aussi dans l’Aube, le Nord ou en Auvergne. De belles pièces sont retrouvées, dont un moule de tête de hache de l’âge du bronze. En garde à vue, l’un des suspects révèle l’existence du trésor de Laignes. D’une incroyable qualité, il semble avoir été frappé hier. « C’est une émission exceptionnelle d’argent, note la Drac. D’habitude, les Gaulois frappaient surtout du bronze. » Selon les estimations, l’ensemble vaudrait plusieurs centaines de milliers d’euros.

Pour le faire fructifier, les trois découvreurs se sont tournés vers Jean G., 67 ans, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations. Ce Dijonnais, ancien agent immobilier, a acheté le lot pour 30 000 € en liquide. En mars, 1 622 pièces sont découvertes à son domicile. L’homme avoue en avoir déjà revendu 134 par le biais d’Internet pour environ 15 000 €. Du côté des spécialistes, on se félicite que lui et ses complices aient été mis hors d’état de nuire. « La moitié de nos sites de fouilles sont pillés, dénonce Frédéric Devevey, archéologue à l’Inrap de Bourgogne. Le plus important, ce n’est pas de découvrir des objets, mais d’analyser la configuration des sites et le contexte de ces découvertes. »

A l’inverse, Me Randall Schwerdorffer, avocat de l’un des prévenus, Eddy D., relativise : « C’est l’estimation du prix du trésor, laquelle reste à confirmer, qui donne son retentissement à cette affaire. Mais mon client est tout sauf un voyou. Il n’avait pas conscience de sa valeur. » L’avocat en veut pour preuve les 30 000 € payés, une somme minime comparée à la valeur alléguée du lot. Marie-Christine Tarare assume pour sa part vouloir faire d’Archeo 21 un exemple. « La campagne est vaste, ces individus agissent de nuit, et donc il y a peu d’affaires de ce type qui émergent », note la magistrate, laquelle rappelle : « Toute fouille archéologique sans autorisation est interdite. Cette affaire doit servir de clignotant aux amateurs. »

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