Lors d’un testing inédit de l’association Aides, que nous dévoilons, un tiers des dentistes ont refusé de soigner un patient atteint par le VIH. En toute illégalité.
Christine Mateus | 04 Juin 2015, 07h00 | MAJ : 04 Juin 2015, 07h03
SOS Racisme avait popularisé la pratique en faisant ses testing à l’entrée des boîtes de nuit pour apporter la preuve d’une discrimination raciale. C’était à la fin des années 1990. L’association de lutte contre le sida Aides la remet au goût du jour pour évaluer l’attitude des médecins à l’égard de personnes porteuses du virus du sida (VIH).
Celles de dentistes et de gynécologues en particulier. Les militants de l’association ont ainsi téléphoné à ces praticiens — 440 dentistes et 116 gynécologues — pour prendre rendez-vous, en précisant qu’ils étaient séropositifs.
Le motif de consultation : détartrage ou frottis. Les échanges ont tous été enregistrés. Silence gêné parfois suivi d’un refus franc : ces réactions de l’autre côté de la ligne sont loin d’être exceptionnelles. Car 3,6 % des dentistes ont purement et simplement refusé de recevoir le patient à cause du VIH et pour 30 % d’autres appelés les raisons pour éloigner le demandeur de leur cabinet ne manquent pas. Et le professionnel de santé de s’enquérir de la solvabilité financière du patient, de ne proposer que des horaires contraignants, d’annoncer des dépassements d’honoraires pour finir en orientant son interlocuteur vers un service hospitalier ou un confrère, prétextant un manque de connaissance de la pathologie ou un matériel inadapté.
« Vous m’auriez dit ça il y a vingt ans… mais aujourd’hui…»
Les gynécologues s’en sortent mieux. Parmi eux, l’association a comptabilisé 2 refus de soins directement liés au VIH (soit 1,7 %). Quant aux refus déguisés, le taux monte à 4,3 %. « Nous avons choisi de cibler ces spécialistes, car les remontées de discrimination et de petites humiliations venaient de là », précise Bruno Spire, président d’Aides. Chaque médecin a été appelé deux fois : une première sans que le patient précise sa séropositivité, la seconde en faisait état. Lors de la prise de rendez-vous, les militants présentaient un nom français, pas de CMU (couverture maladie universelle), pour être sûr que seule la maladie entraînerait un éventuel refus de soins.
Pourtant, le Code de la santé publique proscrit toute discrimination, sous peine de sanctions civiles et pénales… qui se limitent de fait à un blâme. Alors que la future loi de santé est actuellement au Parlement, le responsable associatif demande à ce que ces testing deviennent une preuve légale d’une attitude discriminatoire. Une évaluation des refus de soins est bien prévue dans la loi, « mais seuls les ordres médicaux en sont chargés. Or, les associations de patients doivent être étroitement associées », insiste Bruno Spire.
Du côté de l’ordre national des chirurgiens-dentistes, on tombe des nues. « Vous m’auriez dit ça il y a vingt ans… mais aujourd’hui… s’étonne le président, Christian Couzinou. Ces réactions sont tout à fait anormales, et nous poursuivons systématiquement quand elles nous parviennent. Dans les cabinets, les précautions sont les mêmes quel que soit le patient. D’ailleurs, certains ignorent qu’ils sont séropositifs, et quand ils le savent ils ne sont pas obligés de le dire. »