L’aîné des quatre frères Delay, appelé à la barre hier, a désigné Daniel Legrand fils à la fois comme victime et auteur d’attouchements lors d’une déposition très confuse.
De notre envoyée spéciale à Rennes (Ille-et-Vilaine) Pascale Égré | 22 Mai 2015, 07h28 | MAJ : 22 Mai 2015, 07h36
C’est un flot de mots, parfois entrecoupés de sanglots déchirants, qui crient la violence d’une enfance massacrée. Une vie en vrac, un chaos d’affreux souvenirs et d’images insupportables. A la barre de la cour d’assises des mineurs de Rennes (Ille-et-Vilaine), Chérif Delay, 25 ans, l’un des douze « enfants d’Outreau », confirme d’abord qu’il est bien partie civile à l’encontre de Daniel Legrand.
Lui, dans le box, qui nie les viols qu’on lui reproche cette fois en tant que mineur sur ce garçon comme sur ses trois frères, l’écoute, l’air hébété. « Il était là », l’a accablé avant-hier Jonathan, le 3e de la fratrie en le désignant comme l’un de ses abuseurs. « Cette personne qui est présente aujourd’hui, je la reconnais », dit maintenant Chérif, l’aîné. Il a été extrait hier, sous escorte, du centre médico-pénitentiaire du sud-ouest de la France où il est actuellement en soins psychiatriques pour venir témoigner, son état de santé, finalement, le lui permettant.
Chérif Delay parle de « flashs », « de mélanges », à cause « de l’ancienneté des faits ». Et il n’accuse pas seulement. Ce qu’il décrit, c’est une scène de « partouze » à laquelle les enfants — lui et son frère Dimitri — sont obligés de participer. Et où Daniel Legrand est lui aussi abusé, en présence de son père, avant de les abuser eux à son tour. « Ça se passe dans ma chambre, en face de l’entrée. » Cette fois-ci, il n’y a « pas sa mère », pas d’autres femmes non plus, mais seulement des hommes : son beau-père Thierry Delay, ainsi que plusieurs des mis en cause qui ont été acquittés en 2005 dans ce dossier et qu’il n’avait pas accusés alors. A la question d’une des magistrates assesseur, Chérif précise que Daniel Legrand a été « plusieurs fois victime ». Et auteur ? « Une seule fois, contre moi et contre Dimitri. » Il ne s’agissait pas de viols, dit-il, mais d’attouchements. Il situe tout cela « après la rentrée » qui a suivi le mondial de football 1998.
Chérif Delay raconte. Il y a ces choses « très claires » dans sa tête. Les sodomies imposées par ce beau-père qui le traitait de « bougnoule ». Ou cette fois où il « a dû manger ses excréments ». Et aussi ces séquences où il a été « forcé de coucher avec (sa) propre mère ». Il y a ensuite des images : comme celle où il aperçoit ça, par le trou de la serrure : « Une personne est venue avec une enveloppe marron. Elle a parlé à mon père. Et après j’ai vu défiler des personnes chez moi. C’était arrosé par l’alcool. Mon beau-père s’en prenait à moi à coups de ceinture. » Le président Philippe Dary l’interroge : qui était là ? Chérif cite une fois encore plusieurs des acquittés. Il peine à se souvenir des enfants. Tout devient confus. Quant à Legrand père, il sait qu’il était là « parce qu’il (Daniel fils), l’appelait papa tout simplement. » Il faisait quoi ? « Il regardait », dit-il.
A Chérif, comme à Jonathan, les photos des trombinoscopes des suspects n’ont pas été montrées à l’époque de l’enquête. Il reconnaît, parce que le président l’interroge sur le meurtre d’une fillette dont il s’était lui-même accusé en 2012 avant de retirer ses déclarations, qu’il s’est rétracté « parce qu’il y avait du rajout ». C’est-à-dire, lui demande Philippe Dary. « Parce que je mélangeais mes cauchemars et la réalité. » Pourquoi ? « Peut-être qu’elle a existé mais pour les médecins non », précise-t-il. Ses avocats le pressent : « Toi qui connais l’incarcération, accuserais-tu à tort quelqu’un qui risque d’aller en prison ? » Chérif, en larmes : « Non, [la prison], c’est l’enfer. Non, c’est horrible d’être là. »