Les syndicats du numéro un français des télécoms ont rejeté un projet d’accord visant à repenser l’organisation du travail à l’heure du digital. En l’état, ils n’y voient qu’un levier pour augmenter la productivité et remédier aux départs à venir, et craignent des dérives liées à l’utilisation des données personnelles.

La situation tient quelque peu du paradoxe. Numéro un des télécoms en France, Orange est sans conteste un des fers de lance du numérique du pays. A l’heure du digital dont il tire ses revenus, l’ex-France Télécom, qui compte 96.000 salariés dans l’Hexagone, souhaite depuis longtemps mettre en place un accord pour « s’adapter aux nouvelles formes de travail », dixit son ex-DRH, Bruno Mettling, qui a porté le projet et vient tout juste de prendre la tête des activités africaines de l’opérateur. Mais, à l’instar de nombreux grands groupes, il rame pour y arriver.

Début mai et après 9 mois de négociations, l’accord pour la « transformation numérique » de l’opérateur en France a été balayé par les syndicats. Concrètement, trois d’entre eux (la CGT, Sud et la CFE-CGC, qui pèsent 53% des voix) s’y sont opposés. Tandis que la CFDT et FO l’ont approuvé. De manière générale, les syndicats qui se sont opposés au projet redoutent que les salariés ne fassent les frais de cette « digitalisation » du travail.

Pour Christian Pigeon, de Sud (17,51%), la direction ne lorgnerait que des « gains de productivité » pour remédier aux départs à venir. D’après lui, elle souhaiterait ainsi « dégager des marges pour payer des dividendes aux actionnaires ». A l’en croire, l’équation est simple : « 14.000 salariés doivent partir dans les trois ans, et l’entreprise n’entend en embaucher que 6.000. Voilà pourquoi elle veut augmenter la productivité de chacun d’entre nous. »

Des peurs liées aux données personnelles

En somme, la transformation digitale ne serait à ses yeux qu’un levier pour intensifier le travail.  En guise d’exemple, il s’inquiète de la « fourniture de smartphones à tous les salariés du groupe ». Pourquoi ? Parce que, d’après lui, les collaborateurs peuvent ainsi « continuer à travailler » chez eux. Une autre crainte concerne les données personnelles, dont les syndicats redoutent qu’elles soient utilisées à des fins de surveillance, voire de flicage. D’après eux, l’accord présenté « manque de garanties » à ce sujet. Pour preuve, Sud brandit dans un communiqué une décision de justice intervenue l’été dernier :

« Le 15 juillet 2015, Orange était condamné pour la mise en place de boîtiers électroniques sur les véhicules du groupe car les données collectées dépassaient les objectifs affichés par l’entreprise. »

Pour la CFE-CGC, la direction a voulu aller trop vite en besogne concernant cet accord. D’après eux, il y aurait « un décalage entre la volonté de modernité d’Orange et le traitement de son personnel ». « D’un âge médian de 53 ans », celui-ci serait « loin d’être aguerri aux usages du numérique ». Il devrait donc« avant tout être accompagné et sécurisé pour être embarqué intelligemment dans l’aventure numérique plutôt que contraint ».

Le souvenir des suicides des années 2000

De source proche de la direction, ces craintes n’ont pas lieu d’être :

« L’accord précise bien que les données personnelles ne seront pas utilisées sans le consentement des salariés. En outre, il n’est pas question d’utiliser les données pour surveiller qui sur ce soit. C’est interdit par loi et nous la respectons. Concernant la fourniture de smartphones, presque tous les collaborateurs ont été récemment équipés. Cela a été décidé lors du plan Essentiel 2020 l’an dernier, via l’opération ‘tous en 4G’. A ce moment-là, 40% des collaborateurs étaient déjà équipés, et il n’y jamais eu de crainte particulière à ce sujet. »

Avec le refus des syndicats, les négociations vont donc se poursuivre. Reste que la transformation du travail à l’heure du digital demeure un sujet brûlant chez Orange. Et pour cause, les salariés se rappellent tous du climat délétère des années 2008-2009. A l’époque, l’opérateur a connu une vague de suicides sans précédent. Un technicien marseillais qui a mis fin à ses jours avait notamment dénoncé un « management de la terreur ». En 2010, Bruno Mettling, spécialiste des dossiers sociaux sensibles, avait été appelé à la rescousse pour sortir de cette crise. Et c’est lui qui, en septembre dernier, a remis un rapport « Transformation numérique et vie au travail » au gouvernement. Dans celui-ci, le désormais ex-DRH d’Orange milite notamment pour un « droit à la déconnexion », repris dans la loi Travail. Pas de quoi, pour l’heure, rassurer les syndicats.

http://www.latribune.fr/technos-medias/pourquoi-le-numerique-inquiete-chez-orange-570420.html