Publicité, restauration, voyages, e-commerce… La liste est loin d’être exhaustive : ceux que l’on appelle les BAT – Baidu, Alibaba, Tencent ont désormais une présence tentaculaire dans l’économie chinoise et débordent à l’international.

En 2015, Tencent a effectué 68 fusions et acquisitions. L’année dernière également, Alibaba, qui a fait une entrée très médiatisée en Bourse à New York, a dépensé 18 milliards de dollars pour acheter des participations dans de nombreuses entreprises mondiales. Leur but : dénicher la prochaine innovation disruptive et imposer leur marque tout en diversifiant leurs investissements.

« Ces entreprises ont très bien réussi. Elles se comportent désormais comme des fonds de capital-investissement. Elles cherchent à faire des investissements dans des sociétés bien managées », raconte James Roy, analyste chez China Market Research Group, une entreprise de conseil basée à Shanghai.

Et cela passe par une présence accrue à l’étranger. Cela leur permet de consolider leur image d’entreprise globalisée et de se diversifier, alors que leur marché domestique est de plus en plus saturé.

« Ce sont des entreprises ambitieuses. Tout comme Google, elles espèrent être présentes mondialement. Le marché intérieur se tasse. Elles cherchent des relais de croissance ailleurs », ajoute James Roy.

Car même si, jusqu’ici, le secteur de l’Internet a relativement bien surmonté le ralentissement économique chinois, les BAT ne s’en sortent pas indemnes. Alibaba et Baidu ont annoncé fin 2015 qu’elles gelaient les embauches : leurs résultats annuels ont été moins bons que prévu.

Mais les BAT n’ont pas attendu le ralentissement économique pour faire pousser leurs ailes. Dès 2011, Tencent a ouvert des bureaux aux États-Unis et en Europe dans le but de diffuser son très populaire et désormais indispensable système de messagerie en Chine, WeChat, un mélange de Twitter, Facebook et WhatsApp. L’entreprise a embauché un ancien directeur de Goldman Sachs pour s’atteler à la tâche.

Jack Ma, le très charismatique fondateur d’Alibaba, a eu la même approche. Ainsi recrute-t-il un autre transfuge de Goldman Sachs pour rejoindre son équipe, qui a comme mission d’inciter les marques étrangères à vendre aux consommateurs chinois via ses plateformes. Lors du dernier sommet de Davos, en janvier, Jack Ma a clairement affiché ses ambitions : toucher plus de deux milliards de consommateurs avec la moitié des ventes faites à l’étranger. Quant à Baidu, le moteur de recherche est déjà présent dans plusieurs pays en développement : Russie et Brésil. Il vise à pénétrer d’autres pays en Asie du Sud-Est. Avec leurs caisses pleines et l’aval du gouvernement chinois, les BAT se donnent les moyens de leurs ambitions. Fusions et acquisitions tous azimuts, les BAT ratissent large dans de multiples secteurs. Alibaba investit dans Hollywood, Tencent part à la recherche de startups dynamiques et Baidu s’allie avec BMW pour lancer une voiture connectée.

Pour ne donner que quelques exemples : l’année dernière, AliExpress, le service de courrier d’Alibaba, a signé un accord avec Royal Mail pour accélérer les livraisons de la Chine vers le Royaume-Uni. Aux ÉtatsUnis, l’entreprise a pris une participation de 39 % dans ShopRunner, une rivale d’Amazon, tandis que Tencent a racheté Kik Interactive, un service de messagerie canadien. Mais l’entrée dans les marchés matures dominés par Facebook, eBay, Amazon et Google s’annonce plus difficile que prévu. Le principal obstacle reste leur modèle d’entreprise, construit dans un marché émergent et protégé, qui n’est pas forcément réplicable ailleurs.

Avec le temps, la stratégie s’affine

Tencent, après des ventes décevantes l’année dernière, est revenu sur ses ambitions internationales. L’entreprise avait essayé de se frayer une entrée grâce aux fonctions vidéo de WeChat et de Light Talk, une application de téléphonie mobile gratuite. « Il y a d’autres marchés, notamment dans les pays occidentaux où la publicité est plus chère et moins efficace. Il était difficile pour nous d’être rentables sur ces marchés »,racontait James Mitchelle, le directeur de la stratégie, lors de la publication des résultats du troisième trimestre 2015.

De son côté, Alibaba a annoncé l’été dernier la mise en vente aux États-Unis de son site d’e-commerce en ligne 11 Main, juste un an après son ouverture.

« Il est difficile pour Alibaba d’inciter Burberry à vendre ses produits à côté d’un vendeur de faux. Mais il est tout aussi difficile pour Alibaba de se couper de sa base de petits vendeurs », explique Duncan Clark, fondateur de BDA, une entreprise de conseil à Pékin, et qui vient de publier un livre sur l’entreprise.

En effet, le succès d’Alibaba est fondé sur des milliers de petites boutiques en ligne qui vendent tout et n’importe quoi. En dépit des appels répétés de Jack Ma pour lutter contre la vente de faux, il reste très aisé de trouver des contrefaçons à Taobao.

Mais, avec le temps, la stratégie s’affine. Plutôt que de rentrer par la grande porte, les BAT sont à la recherche de la prochaine innovation et se focalisent sur des marchés en développement où la pénétration Internet reste faible et l’accueil d’entreprises chinoises plus favorable qu’en Occident. Car d’autres défis attendent les BAT à l’étranger, et pas des moindres : l’image « Chine » qui leur colle à la peau, et toutes les craintes que suscite la deuxième puissance mondiale, surtout à l’heure du durcissement du régime. Aussi est-il légitime de se demander si Alibaba saura faire du journal de Hong Kong qu’il vient d’acheter, le South China Morning Post, un organe de presse libre (sans doute pas), ou si Tencent peut garantir qu’il ne livre pas le contenu des messages WeChat au gouvernement sur simple demande.

Baidu s’est récemment fait épingler par la presse spécialisée, car toutes les données privées de ses utilisateurs étaient stockées soigneusement en Chine.

« Alibaba est considérée comme trop proche du pouvoir. Comment persuader que ces entreprises ne sont pas porteuses des intérêts du Parti communiste chinois ? », se demande Duncan Clark.

http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/l-irresistible-avancee-des-geants-de-l-internet-chinois-581647.html