« Allez les Bleus ! »
Dans les rues, les cafés, les foyers, les encouragements devraient pleuvoir sur l’équipe de France de football à partir du 10 juin, date du premier match du Championnat d’Europe des Nations, que la France organise. Même à l’Élysée, le soutien devrait être vif. Pour plusieurs raisons. François Hollande est un grand passionné de football. En 2008, il a tâté le cuir en participant à un match amical pour l’association France Alzheimer. Certains de ses dribbles auraient dérouté son équipe et ses adversaires… Interrogé en 2009 par le magazineSo foot, il indiquait supporter le FC Nantes et l’En-avant Guingamp, avant de préciser :
« Au final, dès que je m’intéresse à un club, il chute »…
Il reste à espérer que le signe indien sera vaincu, que les voeux présidentiels porteront chance aux joueurs de Didier Deschamps et qu’ils remporteront la victoire en finale, le 10 juillet, à Saint-Denis. Un joli parcours des Bleus serait en effet de nature à détendre une atmosphère terriblement alourdie par les menaces terroristes, à insuffler un peu de confiance aux citoyens et aux forces vives de la Nation.
Un joli parcours stimulant la confiance
Une confiance qui serait, selon la plupart des économistes, le chaînon manquant de la reprise. En effet, bien que l’environnement macroéconomique soit actuellement favorable, le nombre de demandeurs d’emploi ne recule que très lentement et depuis trop peu de temps pour que l’on puisse en conclure que l’inversion de la courbe du chômage est en train de se produire.
Concrètement, un joli parcours des Bleus permettrait de stimuler la consommation des ménages, les recettes publicitaires et l’activité des petits commerces et en particulier ceux des centres-villes des dix villes hôtes de l’Euro 2016 – Bordeaux, Lens, Lille, Lyon, Marseille, Nice, Paris, Saint-Denis, Saint-Étienne et Toulouse – actuellement frappés par les nombreuses manifestations des opposants à la loi Travail. Selon l’UEFA, qui organise l’événement, le montant total des dépenses des supporters devrait s’élever à 1,134 milliard d’euros, auquel s’ajouteraient 178 millions de recettes de TVA. C’est moins que le 1,7 milliard d’euros dépensés pour rénover ou construire les dix stades qui accueilleront les matchs…
L’effet sur la consommation des ménages, par ailleurs solide, peut-il être important ? En 1998, l’Insee avait constaté une nette progression d’achats de produits bruns (téléviseurs, radios, magnétoscopes, chaînes hi-fi …). Depuis, née au début des années 2000, la révolution des écrans plats s’est propagée. Les ménages continueront-ils à dépenser autant ? Les nouveautés technologiques sont-elles de nature à inciter les ménages à changer une nouvelle fois de téléviseur – alors que les programmes sont désormais accessibles sur tablettes ou smartphones ? Selon l’Insee, le taux d’équipement de ménages en 2013 en téléviseurs s’élevait à 97%. Par ailleurs, il faut rappeler que même si les consommateurs devaient se ruer dans les magasins pour acheter le nec plus ultra pour voir jouer les Bleus, ils ne soutiendraient en aucun cas le made in France.À l’exception de quelques produits très haut de gamme, sur des segments de niche, l’industrie tricolore ne fabrique plus de produits bruns. La balance commerciale peut en témoigner.
Un rebond espéré pour le tourisme
En 1998, l’organisation en France de la Coupe du monde de football, conquise pour la première fois de son histoire par les Bleus, avait eu de nombreux impacts positifs. Sur le plan sociétal notamment, avec la victoire de cette équipe «black-blanc-beur». Dans le domaine économique, grâce à cet événement, le tourisme tricolore avait battu son record en affichant trois millions de touristes supplémentaires par rapport à 1997. Certes, l’Euro n’a pas la dimension planétaire d’une coupe du monde. Seuls 24 participants sont en lice, contre 32 en 1998. Mais compte tenu de la proximité géographique des pays participants avec la France, le flot de touristes devrait être comparable à celui observé il y a dix-huit ans. L’effet de l’Euro 2016 sera-t-il équivalent ? Selon une étude réalisée par Bloomberg, l’impact sur l’activité serait marginal, de nombreux éléments stimulants ayant déjà produit leurs effets (investissements dans les stades, vente de billets…). En attendant, interrogés par Opinion Way pour CCI France/La Tribune/Europe 1 dans le cadre de « La grande consultation », 57% considèrent la tenue de l’Euro en France comme bénéfique pour l’économie française. Un pourcentage qui grimpe à 74% pour les entreprises ayant plus de dix salariés.
Sur le plan politique, François Hollande a également beaucoup à gagner d’un joli parcours des Bleus. En cas de victoire, et à condition que les clignotants macroéconomiques se maintiennent dans le vert bien évidemment, sa cote de popularité ne peut que remonter, compte tenu de son niveau actuel. Selon le baromètre Ipsos-Le Point publié la semaine dernière, seules 18% des personnes interrogées jugent favorablement l’action du président de la République.
Avec une popularité en hausse, une reprise qui se confirme et plusieurs baisses consécutives du nombre de demandeurs d’emploi, François Hollande pourrait assez légitimement, de son point de vue, se présenter pour un nouveau mandat présidentiel, au désespoir des autres figures de la gauche.
Super Victor, mascotte de l’Euro 2016
Dialogue social en panne et état d’urgence maintenu
Ce scénario rêvé par l’Élysée est-il probable ? Ses espoirs ne reposent pas uniquement sur les épaules des joueurs de l’équipe de France de football. En effet, le gouvernement de Manuel Valls est actuellement empêtré dans le dossier loi Travail. Adopté en force via le 49.3, le projet de loi porté par Myriam El Khomri provoque la colère d’une partie de la population. Les syndicats de salariés ont pris le relais du mouvement Nuit debout, qui s’est organisé à la mi-mars à Paris et dans la plupart des métropoles régionales dès la présentation du texte concocté rue de Grenelle. Le dialogue étant quasiment rompu entre les syndicats les plus remontés contre le texte et le gouvernement, certains d’entre eux, et tout particulièrement la CGT, envisagent de perturber l’Euro en maintenant les appels à la grève, notamment dans les transports.
L’autre risque qui fragilise ce scénario idéal est plus dramatique. Depuis les derniers attentats terroristes en novembre, l’état d’urgence est toujours maintenu. Le 10 mai, un mois avant l’ouverture de l’Euro, le Sénat a voté à une très large majorité sa prolongation jusqu’au 26 juillet. En dépit des efforts budgétaires du gouvernement pour sécuriser les stades et leurs abords, les réseaux de transport et les « fan zones » qui pourraient réunir plusieurs milliers de personnes devant des écrans géants, en dépit des messages rassurants de l’exécutif, la menace terroriste est réelle. Selon le ministère de l’Intérieur, six mois après les attentats à Paris et Saint-Denis, 101 personnes en lien direct avec le terrorisme ont été arrêtées depuis le début de l’année. Depuis 2013, ce sont au total 15 projets d’attentats qui ont été déjoués.