Les fantasmes sont nombreux sur l’indemnisation des demandeurs d’emploi : ils perçoivent trop, trop longtemps, ne recherchent pas d’emploi, etc. De plus, les finances du régime sont en mauvais état. Grosso modo, chaque année depuis 2009, l’Unedic enregistre un trou compris entre 3 et 4 milliards d’euros. Ainsi, l’Unedic s’attend à un déficit de 3,6 milliards d’euros en 2016, après un trou de 4 milliards d’euros en 2015. Et la dette dépasserait les 29 milliards en 2016, soit un niveau pas très éloigné du montant total des recettes de cotisations (environ 34 milliards d’euros). Mais comme le régime paritaire (géré par les organisations patronales et syndicales) bénéficie de la garantie de l’Etat il peut emprunter à taux réduit sur les marchés…
Résultat, entre ceux qui pensent que les chômeurs „perçoivent trop” et ceux qui se soucient de redresser les comptes de l’assurance chômage, de nombreux responsables politiques veulent donner un gros coup de pied dans la fourmilière. Et ce d’autant plus que le déficit de l’Unedic fait partie intégrante des déficits publics pris en compte pour le respect du critère d’un déficit limité à 3% du PIB.
Pour cette raison, avant l’échec en juin dernier de la négociation sur le renouvellement de la convention d’assurance chômage, certains ministres du gouvernement, dont celui des Finances Michel Sapin, n’excluaient pas de rétablir une dégressivité des allocations pour limiter le déficit. Tous les candidats à la primaire de droite évoquent aussi un rétablissement de la dégressivité des allocations pour inciter les chômeur à chercher plus activement un emploi. Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé vont même plus loin en proposant une nationalisation de l’assurance chômage, les partenaires sociaux ayant fait la preuve de leur incompétence pour équilibrer les finances du régime.
Certes, mais la lecture d’une récente étude de l’Unedic « Les chiffres qui comptent » qui présentent les principaux paramètres à la fin 2015, bat en brèche un certain nombre d’idées reçues sur l’indemnisation du chômage en France.
Une allocation moyenne de 1.058 euros pour une durée moyenne de 10 mois
En décembre 2015, 2,8 millions d’allocataires sont indemnisés par l’Assurance chômage, soit… 43% des demandeurs d’emploi. Quant au montant moyen de l’allocation perçue, il atteint 1.058 euros net par mois à la fin 2015. Dans le détail, 95% perçoivent moins de 1.970 euros net et 50% moins de 970 euros net. Quant à la fameuse allocation maximale de 6.750 euros net par mois, elle est perçue par… environ 500 allocataires, soit… 0,02% des bénéficiaires et représente 0,27% des dépenses d’allocation. Il faut dire que les allocataires concernés sont des personnes qui percevaient un salaire d’au moins 12.872 euros bruts par mois.
Le taux de remplacement net moyen atteint 71% du salaire antérieur. Il est de 78% au niveau du Smic et de 65% pour un ancien salaire de 3.000 euro net par mois.
Mais, là où cela devient réellement intéressant par rapport au débat sur la dégressivité des allocations, c’est lorsque l’on se penche sur la durée effective de l’indemnisation. Or, selon l’Unedic, la durée moyenne d’indemnisation n’était que de 10 mois en 2015… Et 70% des allocataires sortant d’indemnisation ont été indemnisés moins d’un an. En outre, seuls 35% des allocataires sont arrivés à la fin de leur droit. Dès lors, on peut s’interroger sur l’utilité de la dégressivité des allocations. A quel moment devra-t-elle intervenir ? A la fin des trois premiers mois d’indemnisation ? Au bout de six mois ? Sera-t-elle vraiment incitative à la reprise d’un travail ?… Surtout en période de chômage de masse.
En revanche, il serait nettement plus utile de se pencher sur la question des contrats courts qui pèse terriblement sur les finances de l’assurance chômage. Or, c’est justement ce point qui a provoqué l’échec de la négociation d’assurance chômage et son report sine die… Les organisations patronales ne voulant pas entendre parler d’une sur cotisation assurance chômage pour les entreprises qui « abusent » de ces contrats courts. De fait, les cotisations chômage versés pour les seuls salariés en CDD et en intérim sont de … 11 milliards inférieures aux allocations qu’ils perçoivent. Et 39% des allocataires de l’assurance chômage le sont à la suite de la fin d’un CDD. En outre, depuis la dernière convention d’assurance chômage de 2014 et l’introduction du principe des « droits rechargeables », le problème s’est accentué.
Les contrats courts et les effets pervers des droits rechargeables
Toute période travaillée par un demandeur d’emploi avant l’épuisement de ses allocations allonge la durée de ses droits à l’Assurance chômage, si la perte de ce nouvel emploi n’est pas volontaire. C’est ce que l’on appelle „les droits rechargeables„. Il faut cependant avoir au moins travaillé 150 heures sur l’ensemble de la période d’indemnisation. Si cette condition est remplie, une fois tous les droits initiaux du demandeur d’emploi utilisés, et seulement à ce moment-là, il va être effectué un « rechargement » des droits qu’il a acquis en travaillant pendant la période d’indemnisation. Ce « rechargement » lui ouvre de nouveaux droits, c’est-à-dire une allocation d’un nouveau montant pour une nouvelle durée qui sera calculée sur la base des activités reprises.
Alors, certes, le système est ingénieux car il incite les demandeurs d’emploi à reprendre une activité. Mais il a un effet pervers : il pousse les employeurs à multiplier les contrats courts. De fait, les entreprises, avec la complicité le plus souvent subie des salariés, ont très bien compris qu’elles pouvaient optimiser leur gestion du personnel peu qualifié en se défaussant sur l’assurance chômage. En d’autres termes, elles utilisent cette main d’œuvre sur des plages horaires les plus courtes possibles, via des CDD très courts puis s’en délestent… puis réembauchent en CDD court quand elles en ont de nouveau besoin. Pour preuve, selon une note du Conseil d’analyse économique, 70% des embauches en contrat court… sont des réembauches chez un ancien employeur.
Du côté des salariés, certains peuvent trouver un avantage à ce système en alternant de courts épisodes d’emploi et d’inactivité pour prolonger l’indemnisation, puisque chaque nouvelle période de travail donne droit à une nouvelle période d’indemnisation. Or, en période de crise où l’emploi stable est rare, c’est un mode de survie… Mais tout ceci conduit à un paradoxe redoutable : l’indemnisation du chômage, initialement destinée à accompagner des périodes de transition entre deux emplois durables, génère, en réalité, une instabilité constante de l’emploi ! Et le coût pour la collectivité est très lourd.
C’est donc sur cette question qu’il faudrait réviser les paramètres. Ce serait nettement plus utile que de se focaliser sur la question de la dégressivité, certes électoralement plus « rentable ».