Au terme de son OPA hostile, le groupe de médias et de divertissement a fait main basse sur l’éditeur de jeux vidéo sur mobile. Vivendi devrait maintenant concentrer ses forces sur Ubisoft, présenté depuis longtemps comme sa cible principale.

C’est fait. Après un long bras de fer, Vivendi a finalement mis la main sur Gameloft. D’après les résultats provisoires publiés mardi par l’Autorité des marchés financiers, le géant des médias et du divertissement dirigé par Vincent Bolloré détient plus de 61% du capital (et 55% des droits de vote) au terme de son OPA hostile sur l’éditeur de jeux vidéo. Cela ne constitue pas une surprise. Avant la clôture de son offre, Vivendi détenait 29,37% du capital. Et suite au relèvement de son offre d’achatde 7,20 euros à 8 euros à la mi-mai, le groupe de médias a rallié le fonds britannique Amber Capital et le CIC, qui possèdaient respectivement 15% et 3% de Gameloft. Ce faisant, Vivendi avait sécurisé plus du double (47%) du capital détenu par la famille Guillemot, fondatrice de la société de jeux vidéo. Le groupe n’a donc eu aucun mal à récolter les parts qui lui manquaient pour l’emporter.

Après des mois de bagarre, la famille Guillemot abandonne ainsi son bébé. Surtout, elle va devoir s’atteler à un autre dossier brûlant : la défense de son joyau Ubisoft, le troisième éditeur mondial de jeux vidéo qu’elle a fondé en 1986. Car en réalité, c’est surtout le grand frère Ubisoft (et ses titres phares « Assassin’s Creed », « Les Lapins Crétins » ou encore « Far Cry ») qui suscite la convoitise de Vincent Bolloré et de Vivendi. Ces derniers mois, le groupe de médias a accru sa participation au capital, jusqu’à en détenir 17,6% du capital. De leur côté, les cinq frères Guillemot n’en possèdent que 9% (et 15% des droits de vote), et cherchent activement des chevaliers blancs pour sécuriser leur capital.

Stratégie de déstabilisation

Sous ce prisme, la prise de contrôle de Gameloft par Vivendi s’apparente à une stratégie de déstabilisation, visant à montrer qui est le plus fort. Vincent Bolloré avale ainsi la cible la plus facile, avant de s’attaquer, avec la même stratégie de grignotage avant OPA, à la plus grosse. Et pour cause, même si Gameloft est aux yeux de tous largement survalorisée par l’offre de Vivendi (à hauteur de 700 millions d’euros), Ubisoft est un tout autre morceau. Au cours actuel, la société pèse ainsi plus de 3,6 milliards d’euros !

Pour autant, la stratégie de Vivendi dans les jeux vidéo laisse de nombreux analystes dubitatifs. A La Tribune et sous couvert d’anonymat, l’un d’eux constate que « de nombreux groupes, dont beaucoup dans les médias, se sont cassés les dents dans les jeux vidéo ». Avant de citer Disney, Gaumont, Philips, Viacom, Cendant, Mattel, Newscorp… Et même Vivendi, qui, en juillet 2013, a revendu Activision Blizzard, le leader mondial des jeux vidéo.

Des craintes liées à la conservation des talents

Certes, d’après notre analyste, il y a des synergies possibles entre Ubisoft-Gameloft et Vivendi :

« Ils pourraient s’appuyer sur les jeux vidéo pour faire des films, notamment avec Studiocanal. Ils pourraient aussi faire de la publicité soit avec l’agence Havas, soit avec les chaînes de Vivendi comme Direct 8, qui a un profil jeune. Concernant Gameloft, on peut envisager des partenariats avec des opérateurs télécoms, comme Telecom Italia, pour promouvoir les jeux mobiles. »

Mais d’après lui, il n’est pas forcément nécessaire d’acquérir Gameloft et Ubisoft pour réaliser de telles synergies. A l’en croire, sur ces créneaux, des partenariats sont tout aussi efficaces… Surtout, le risque pour Vivendi est d’être confronté à une défiance du management et des talents des deux entités. Ce qui pourrait au final peser sur leurs travaux et leurs créations. Chez Ubisoft, on se plaint d’ailleurs que jamais Vivendi n’a précisé les synergies qu’il comptait réaliser. Quoi qu’il en soit, Vincent Bolloré a indiqué qu’il ne souhaitait pas lancer d’OPA tout de suite. En revanche, il a déjà demandé un siège au conseil d’administration, aux côtés des frères Guillemot, pour avoir son mot à dire. La bataille pour le contrôle d’Ubisoft a bel et bien commencé.