L’indice des 600 plus grandes banques européennes décroche de 15 % depuis le 1er janvier, soit un plongeon trois fois supérieur à celui du marché. Selon Christophe Nijdam, secrétaire général de l’ONG Finance Watch, les investisseurs ont pris conscience que l’environnement de taux bas menaçait la rentabilité de tous les métiers de la banque universelle.

La Bourse doute de la résistance du sacro-saint modèle de banque universelle
Si les bénéfices des banques sont sous pression, c’est en raison des politiques monétaires des banques centrales, qui ont abouti à un environnement de taux très bas. (Crédits : © Kacper Pempel / Reuters)

Rien n’y fait. Alors que les marchés actions dans leur ensemble ont repris du poil de la bête depuis début avril, les valeurs bancaires demeurent à la traîne. En France, BNP Paribas accuse un recul de 10% depuis le 1er janvier, mais la Société générale fait pire avec une chute de 17%. Et si CASA et Natixis (les entités cotées du Crédit agricole et de BPCE) tirent mieux leur épingle du jeu, avec des replis respectivement limités à -8,71% et à -7,42%, ces évolutions font pâle figure, à côté d’un indice CAC 40 qui ne perd plus que 1,84% depuis le début de l’année. Le tableau n’est guère plus réjouissant à l’échelle du Vieux Continent, l’indice des 600 plus grandes banques européennes décrochant de 15,49% depuis le 1er janvier, soit un plongeon trois fois supérieur à celui du marché.

Des turbulences boursières qui représentent « une occasion rêvée, pour le lobby bancaire, de critiquer la régulation, en arguant une fois de plus que l’on exige des banques qu’elles mettent toujours plus de fonds propres de côté, ce qui affecte leur rentabilité et, partant, leurs cours de Bourse », dénonce Christophe Nijdam, secrétaire général de l’ONG Finance Watch depuis le 1er janvier 2015, après avoir été lui-même banquier puis analyste financier en charge du secteur bancaire au sein du cabinet indépendant AlphaValue. De fait, le 11 février, lors de la présentation des résultats annuels de la Société générale, Frédéric Oudéa, directeur général de la banque et président de la FBF (Fédération bancaire française), avait reconnu que « la rentabilité du secteur soulevait des interrogations », d’où la nécessité de « clore le chapitre de la réglementation » et de ses surcoûts associés.

Des exigences en fonds propres moins élevées qu’il y paraît

Certes, « il existe une demi-vérité derrière cela », admet Christophe Nijdam. Ainsi, d’après une récente étude de Groupama Asset Management, une grande partie de la baisse de la rentabilité des fonds propres des banques européennes, ramenée d’une moyenne de 13,2% entre 2000 et 2006 à 8,2% en 2014, tient aux coûts de renforcement des fonds propres et à la baisse de rentabilité des activités de courtage induits par la réglementation de Bâle III. Mais, qui dit demi-vérité dit demi-mensonge. Pour Christophe Nijdam, les banques ne peuvent imputer la totalité de leurs difficultés boursières du moment au « tsunami réglementaire » qu’elles fustigent à l’envi depuis qu’il a déferlé sur elles, dans le sillage de la crise financière de 2008. D’abord parce que l’effort de renforcement de leurs fonds propres exigé par les régulateurs est bien moindre que les banques le prétendent.

« Oui, leurs fonds propres doivent représenter 10% de leurs actifs pondérés des risques, mais ce n’est pas ce ratio (de solvabilité) qu’il faut regarder, les banques autoévaluant leurs risques ! Ce qui m’intéresse, moi, c’est le ratio de levier [fonds propres rapportés au total du bilan ; Ndlr], car il ne peut pas être bidouillé. Or, les régulateurs exigent un ratio de levier de 3% seulement (contre 1,5% avant la crise) »,

argumente Christophe Nijdam. Pour mémoire, le ratio de levier était de l’ordre de 20% dans les années 1960… Finance Watch le verrait volontiers à 10% aujourd’hui, ne serait-ce que parce que les pertes des banques représentent en moyenne 10% à 11% de leur bilan, lors de crises comme celle de 2008, d’après le Conseil de stabilité financière, qui est une émanation du G20.

Ensuite, lorsqu’elles pleurent la baisse de leur ROE (return on equity, rentabilité des fonds propres), les banques se bornent à incriminer le gonflement du dénominateur, à savoir les fonds propres. Or, pour Christophe Nijdam, c’est avant tout la diminution du numérateur, c’est-à-dire du résultat net des banques, qui est en cause dans l’effritement de leur ROE. Et si les bénéfices des banques sont sous pression, c’est en raison des politiques monétaires des banques centrales, qui ont abouti à un environnement de taux très bas et, plus précisément, à un aplatissement de la courbe des taux d’intérêt. « C’est cet environnement de taux proches de zéro qui est à l’origine de la sanction du secteur bancaire en Bourse. Les marchés ont réalisé que le fameux modèle de banque universelle était sous pression », décrypte Christophe Nijdam.

Quatre banques universelles d’importance systémique en France

Ce modèle de banque universelle, qui consiste à être présent aussi bien en banque de détail [collecte des dépôts et octroi de crédits aux ménages et aux entreprises ; Ndlr] qu’en BFI (banque de financement et d’investissement, ou activités de marché), ainsi que dans la gestion d’actifs et l’assurance, les banques françaises n’ont eu de cesse, depuis 2008, de vanter sa diversification, sa résistance à la crise. Surtout lorsque les régulateurs se sont mis en tête de scinder les établissements bancaires en deux, avec, d’un côté, les activités utiles au financement de l’économie et, de l’autre, celles dites spéculatives. Le hic, c’est que l’environnement de taux très bas qui sévit depuis deux ans et qui semble bien parti pour durer plusieurs années affecte chacun des grands métiers de la banque universelle.

En banque de détail, l’aplatissement de la courbe des taux pèse sur la marge nette d’intérêt que les banques tirent de leur activité de transformation [elles se financent à court terme et prêtent à long terme ; Ndlr]. Du côté de la gestion d’actifs, les commissions de gestion deviennent de plus en plus difficiles à justifier dans un contexte de taux aussi faibles. Ces derniers compliquent également la tâche des bancassureurs, notamment en assurance-vie, la chute des taux obligataires ne permettant plus de servir les rendements satisfaisants auxquels les clients étaient habitués.

Enfin, la BFI non plus n’est pas épargnée, l’aplatissement de la courbe des taux ayant sensiblement diminué l’intérêt du « carry trade » (opérations spéculatives sur des écarts de rendement), « l’un des sports favoris des banques » selon Christophe Nijdam. Au total, « l’environnement de taux bas plombe chacun des quatre piliers de la banque universelle, dont le modèle n’est plus résilient, ou pas autant que les banques l’ont fait croire, ce dont les investisseurs ont pris conscience », insiste le secrétaire général de Finance Watch. Certes, les banques universelles n’existent pas qu’en France, mais celles de l’Hexagone présentent la particularité d’être très concentrées. Si bien que pas moins de quatre banques universelles françaises (BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, BPCE) figurent parmi les 30 banques mondiales d’importance systémique, dont la faillite déstabiliserait l’ensemble du système financier.

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