L’Eurogroupe a bien « parlé » de la restructuration de la dette grecque dans sa réunion de ce lundi 9 mai, mais il s’est bien gardé de prendre aucune décision. Le président de cette réunion des ministres des Finances, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem, a indiqué qu’il s’agissait de « premières discussions ».
Des mesures à court, moyen et long terme
Rien ne sera donc décidé avant la réunion du 24 mai, le temps de réaliser de nouveaux scénarios et de nouvelles évaluations. Le président de l’Eurogroupe a cependant évoqué un certain nombre de mesures à court, moyen et long terme pour assouplir le fardeau grec. A court terme, il s’agit « d’améliorer la gestion de la dette et réduire son coût ». A moyen terme, il s’agira d’allonger éventuellement les périodes de grâce pour les remboursements et d’aménager les périodes de remboursement. A long terme, enfin, Jeroen Dijsselbloem indique que des « mesures supplémentaires » pourraient être prises. Mais attention ! Ces deux dernières mesures à moyen et long terme ne seront mises en place qu’à la fin du programme actuel, soit en 2018.
Achever d’abord le programme
En matière de dettes, le moyen et long terme est décisif. C’est lui qui détermine la visibilité pour l’Etat, mais aussi pour les investisseurs. Autrement dit, l’essentiel est donc reporté à la fin du programme. L’Eurogroupe manie donc la carotte et le bâton : il n’y aura pas de modification substantielle de la dette sans achèvement du programme. C’est un signe supplémentaire que, quoi qu’en dise Pierre Moscovici et Michel Sapin, les « réformes » réalisés par le gouvernement grec n’ont pas satisfait les créanciers. La restructuration proposée de la dette – qui exclut toujours toute réduction nominale de la dette – reste donc conditionnée à l’obéissance de la Grèce aux créanciers. Pour la première fois, l’Eurogroupe évoque aussi le reversement des bénéfices réalisées par la BCE sur la détention de la dette grecque (estimé à 7,7 milliards d’euros), mais seulement à moyen terme et après la bonne réalisation du programme.
Sans compter qu’il faudra s’attendre à des négociations serrées autour de cette question. Le FMI en fera un élément clé pour son entrée dans le programme et plusieurs pays de l’Eurogroupe seront soucieux de ne pas faire de « cadeau » substantiels à la Grèce. Jeroen Dijsselbloem a indiqué que le FMI avait considéré positivement l’approche à « court, moyen, et long » terme de l’Eurogroupe. Mais, a-t-il ajouté « personne n’a encore pris de décision. » Bref, tout est encore ouvert aux discussions.
Succès pour Alexis Tsipras
Reste que cette ouverture de discussions sur la dette est une victoire tardive pour Alexis Tsipras qui en avait fait une priorité depuis l’acceptation d’un nouveau mémorandum le 13 juillet 2015. Initialement prévu à l’automne, cette discussion s’est finalement ouverte. Certes, on est loin des objectifs initiaux de la Grèce, qui visait une réduction du stock de dettes, mais le premier ministre grec espère sans doute pouvoir en faire un argument en sa faveur dans le débat interne.
Cet Eurogroupe a aussi salué le vote par le parlement grec d’une série de mesures dimanche soir. Là aussi, c’est un succès pour Alexis Tsipras qui avait imposé à sa majorité, malgré une grève générale de deux jours, ce vote pour arriver en position de force devant l’Eurogroupe. Il est parvenu à faire accepter par les créanciers un vote engagé sans l’accord formel des créanciers. Il pourra prétendre avoir imposé ses choix aux créanciers.
Achever la première évaluation
Mais la situation n’est pas si simple. Les mesures votées dimanche étaient, globalement sinon entièrement, en accord avec les demandes des créanciers. Surtout, l’Eurogroupe a rappelé que la première évaluation du programme n’était pas terminée. Elle devrait l’être dans les prochains jours. L’accord avec les créanciers sera finalisé le 24 mai et pourra inclure des mesures supplémentaires pour obtenir la libération de la prochaine tranche de l’aide. Dans ce cas, il faudra repasser devant les députés. Le vote de dimanche ne sera donc qu’une première étape. Mais l’élément crucial est sans doute ailleurs, c’est celui des « mesures contingentes. »
Mesures contingentes
Les créanciers de la zone euro étant plus que jamais déterminés à obtenir l’entrée du FMI dans le programme, il faut rendre crédible l’objectif d’un excédent budgétaire primaire (hors service de la dette) de 3,5 % du PIB en 2018. Pour cela, l’Eurogroupe a inventé un nouveau mécanisme des « mesures contingentes. » Si l’objectif est en danger, ces mesures seront mises en œuvre automatiquement sans besoin de repasser devant les institutions grecques. Alexis Tsipras avait refusé toute mesure de ce type, le jugeant contraires à la loi grecque. Finalement, Athènes a proposé un mécanisme proche ce lundi incluant des mesures automatiques et non automatiques. Selon Kathimerini, des baisses de pension seraient inclus dans ces mesures qui ont été acceptées par l’Eurogroupe. Il ne s’agira pas de mesures précises votées à l’avance, mais d’un mécanisme de maîtrise des dépenses publiques, ce qui est légal en Grèce. Le communiqué de l’Eurogroupe évoque cependant un « paquet de mesures qui seront déclenchées automatiquement » en cas de déviation de l’objectif. Au final, le mécanisme importe peu : la Grèce a accepté l’idée d’un mécanisme automatique pour « corriger ».
Prix élevé
Dans deux semaines, le 24 mai, l’Eurogroupe pourrait donc libérer la prochaine tranche de l’aide à la Grèce et proposer un concept de restructuration de la dette. Tout le monde criera sans doute à la victoire et le ministre des Finances Euclide Tsakalotos a déjà espéré lundi qu’avec un tel accord, la confiance pourrait « enfin revenir en Grèce. » C’est possible. Mais pas certain. Car le prix à payer par le gouvernement grec pour arracher cet accord est très élevé. Les mesures d’austérité adoptées sont très lourdes, elles contiennent des hausses d’impôts pour les particuliers et les entreprises, des hausses de TVA, des baisses des retraites futures, des réductions d’effectifs dans l’administration… Certes, le gouvernement a tenté de préserver les plus fragiles, mais c’est un vrai plan d’austérité pour 2016 et 2017 qui pèsera lourd dans l’activité grecque à peine convalescente de la crise de 2015 et dans les perspectives. Surtout, les « mesures contingentes » pour 2018 promettent la poursuite de cette austérité jusqu’en 2018. Dans ce cadre, les investisseurs pourraient encore se montrer très prudents et la croissance se faire attendre.
Le cercle vicieux de l’austérité n’est pas brisé
Or, si la croissance ne revient pas, le gouvernement grec devra faire face à de nouvelles chute de recettes. Déjà, malgré les hausses de TVA en 2015, cet impôt devrait rapporter moins en 2016 que prévu. La Grèce sera alors condamnée à courir après des objectifs inatteignables. Or, avec les mesures contingentes, ceci déclenchera un nouveau plan d’austérité. Le cercle vicieux des objectifs inatteignables et de l’austérité sans fin n’est donc pas brisé, mais renforcé par les « mesures contingentes. » Derrière les cris de victoire d’Alexis Tsipras, il ne faudra pas oublier ce fait inquiétant. D’autant que la restructuration de la dette dépendra du succès de ce programme…
Athènes sous surveillance
Le gouvernement grec reste donc étroitement sous surveillance, notamment par le système des mesures contingentes. Pour obtenir une restructuration de la dette qu’il faudra juger sur pièces, mais qui ne devrait régler qu’en partie le problème de la dette grecque, Alexis Tsipras a dû renoncer à plusieurs de ses objectifs essentiels, notamment la remise en cause de l’excédent primaire de 3,5 % du PIB pour 2018 et au-delà et l’acceptation des mesures contingentes. Or, cet excédent est une épée de Damoclès qui va menacer longtemps l’économie grecque, comme l’a indiqué le FMI la semaine dernière. Il n’est pas certain que le troc d’une restructuration de la dette contre une austérité et une surveillance renforcée est une bonne affaire et la victoire du gouvernement grec pourrait donc n’être qu’une victoire à la Pyrrhus.
Le communiqué de l’Eurogroupe (en anglais).
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-l-eurogroupe-parle-de-restructuration-de-la-dette-mais-pose-ses-conditions-570125.html