Largement présentée comme une victoire pour les consommateurs, la fin programmée des frais d’itinérance au sein de l’Union européenne pourrait malgré tout accoucher d’une hausse des factures.

Fin des frais de roaming, une fausse bonne nouvelle ?
La baisse progressive des frais d’itinérance constitue «un bon calcul économique», selon Stéphane Richard, le Pdg d’Orange, (Crédits : reuters.com)

Épilogue d’un bras de fer qui a duré de longues années, Bruxelles s’apprête à mettre un terme aux frais de « roaming » (ou d’itinérance) dans l’Union européenne. Engendrés lorsque l’on passe un coup de fil ou qu’on se connecte à Internet depuis son mobile à l’étranger, ceux-ci ont été largement revus à la baisse. Concrètement, en plus des tarifs nationaux, les opérateurs mobiles sont désormais limités dans leurs surfacturations au sein de l’UE. Hors TVA, celles-ci sont plafonnées depuis samedi dernier à 5 centimes d’euros la minute par appel, à 2 centimes par SMS envoyé, et à 5 centimes par mégabit de données mobiles. Une première étape avant leur suppression définitive, prévue en juin 2017.

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Ces surfacturations en faisaient jaser plus d’un. Depuis longtemps, les opérateurs télécoms étaient accusés de se remplir les poches sur le dos des consommateurs. Sachant que pour ceux qui ne faisaient pas attention, et oubliaient de désactiver les données mobiles à l’étranger, la facture pouvait parfois atteindre des montants faramineux. Véritable pomme de discorde, les frais d’itinérance ont fait l’objet d’un bras de fer à Bruxelles face au puissant lobby des télécoms. Celui-ci a tout fait pour préserver cette rente, estimée à 4 milliards d’euros dans l’UE. Un montant peu important au regard du chiffre d’affaires du secteur. Mais qui affiche un sacré taux de marge d’environ 80%, précise un analyste parisien. D’après un autre, dans l’Hexagone, les revenus du roaming des clients français à l’étranger (en UE mais aussi en dehors, donc) avoisineraient le milliard d’euros.

« Tout sauf une mesure sociale »

Dans ce contexte, l’accord supprimant les frais d’itinérance a été salué par tous en juin dernier à Bruxelles. Vice-président de la Commission en charge du Marché unique du numérique, Andrus Ansip s’en est félicité :

« Les Européens attendaient et appelaient de leurs vœux la fin des frais d’itinérance ainsi que l’instauration de règles sur la neutralité du net. Ils ont été entendus. »

Même son de cloche pour son camarade Günther Oettinger, commissaire en charge de l’Economie numérique :

« Je me félicite de cet accord primordial intervenu aujourd’hui qui, enfin, élimine les frais d’itinérance. »

Pourtant, la fin de ces surfacturations est-elle vraiment une bonne nouvelle pour le consommateur ? Pas si sûr. A La Tribune, un bon connaisseur des télécoms assure qu’in fine, « c’est tout sauf une mesure sociale » :

« En réalité, le roaming, cela concerne moins les touristes que les hommes d’affaires et les entreprises. Lorsqu’ils se déplacent, ces derniers ne regardent pas trop leurs dépenses de télécommunications qui sont payées par leur société. Ce n’est pas le cas des touristes, qui ont pris l’habitude de désactiver leurs données à l’étranger [et privilégient, par exemple, les connections gratuites en Wi-Fi dans les cafés et les hôtels, Ndlr]. Ainsi, la disparition du roaming équivaut à baisser une charge pour les entreprises et les milieux d’affaires. Mais comme les opérateurs veulent maintenir leurs revenus, la solution, c’est d’augmenter le prix des forfaits les moins chers… »

Une « bonne nouvelle » pour Orange

En clair, pour les industriels, le manque à gagner serait compensé par un usage plus important du grand public des données à l’étranger, ainsi davantage enclin à se tourner vers des offres plus chères. Interrogé sur France Inter à ce sujet, Stéphane Richard s’est d’ailleurs montré très confiant en octobre dernier. Pour le PDG d’Orange, la baisse des frais d’itinérance est « une bonne nouvelle, d’abord pour les consommateurs ». Mais aussi – et surtout – « pour nous (les opérateurs mobiles, Ndlr) »:

« Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que quand on baisse les tarifs du roaming, les gens consomment beaucoup plus, parce que la première chose que vous faites quand vous passez une frontière, c’est couper votre Internet mobile. Cela ne rapporte aucun revenu aux opérateurs parce que les gens ne s’en servent pas. »

A ses yeux, la baisse des prix du roaming constitue donc « un bon calcul économique ». Et d’ailleurs, chez Orange, « on joue le jeu à fond », claironne son chef de file. « On a mis en place des forfaits pour permettre aux gens de profiter de ces baisses, et au bout du compte, tout le monde s’y retrouvera. »

Des forfaits plus chers

En la matière, Orange, à l’instar de ses concurrents, s’est effectivement bien préparé. Chez Sosh, sa marque low cost, seul son forfait le plus cher (à 24,99 euros), est doté de 5 gigaoctets de données par an « depuis l’Europe et les départements d’outre-mer ». Chez Free, en revanche, le roaming sans frais est depuis longtemps un argument commercial. Depuis juillet 2015, l’opérateur de Xavier Niel l’offre pour tous les pays de l’UE, même s’il est limitée à 35 jours par an et exclut la 4G.

Chez Bouygues Telecom, l’obligation de baisser ses tarifs pour les communications émanant des pays européens a fait l’objet d’une curieuse sortie. Comme l’a remarqué le site Universfreebox.com, l’opérateur a carrément fait passer cette dégriffe imposée pour un geste commercial. « Afin de vous permettre de communiquer plus sereinement lors de vos déplacements en Europe, Bouygues Telecom baisse le prix des appels et des SMS depuis l’Europe ! Vous n’avez rien à faire et vous en profitez automatiquement », lit-on dans un mail aux abonnés. Lequel se garde bien de préciser que Bruxelles est à l’origine de cette baisse.

http://www.latribune.fr/technos-medias/fin-des-frais-de-roaming-une-fausse-bonne-nouvelle-568587.html