Certains ont considéré cela comme une demi-victoire, d’autres comme une lourde défaite. Fin juillet, Uber annonçait avoir cédé son activité en Chine au leader local du marché des VTC, Didi. En échange d’une entrée au capital de son concurrent chinois à raison de 20%, Uber s’est retiré du marché chinois. Un échec mesuré – Uber conserve des parts importantes chez Didi – mais qui remet profondément en question la stratégie de la start-up créée par Travis Kalanick sur le marché asiatique.
„Faire des investissements considérables„
Uber ne s’en est jamais caché : pour devenir le leader d’un marché, la start-up est prête à investir à perte. Fin 2014, Uber avait ainsi levé 1,2 milliard de dollars avec pour objectif de „faire des investissements considérables, particulièrement dans la région Asie-Pacifique” avait déclaré Travis Kalanick. Arrivé dans l’Empire du Milieu la même année, Uber n’a donc pas lésiné sur les sommes investies pour pénétrer le marché. A coups de subventions pour attirer les chauffeurs et de prix au rabais pour séduire les utilisateurs, la start-up a englouti des millions chaque mois en Chine. En février 2015, Travis Kalanick avouait perdre 1 milliard de dollars chaque année sur ce marché.
L’entreprise ayant levé plusieurs milliards de dollars auprès de ses investisseurs, elle pourrait a priori endosser de telles pertes. Mais ce sont ces mêmes investisseurs qui ont sonné le gong chinois et poussé au retrait de Uber, effrayés devant tant de millions brûlés.
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Aux yeux de la start-up californienne, le marché asiatique a pourtant tout de la poule aux oeufs d’or. Le plus grand nombre d’habitants au monde, des réseaux de transport en commun qui ne se développent pas assez vite et une demande en taxi qui excède l’offre. Pour conquérir ces marchés, Uber a choisi une politique de prix agressive. Mais l’échec chinois devrait sonner comme une leçon. Lever des fonds ne fait pas tout et Uber semble bien s’être laissé aveugler par une stratégie qui néglige les réalités sociales et économiques de chaque pays.
Une culture occidentale de la disruption qui ne fonctionne pas
Uber doit son succès en Europe et en Amérique du Nord à son service de grande qualité à des prix abordables mais aussi à un état d’esprit et à une culture qui lui est favorable. Tirant profit de législations ambiguës, faisant fi des standards sociaux du monde du travail, la start-up a dû certes essuyer de violentes protestations mais dans la grande majorité des cas elle s’est attirée les louanges de la population. Cela est en partie dû à un état d’esprit européen et américain plus enclin à la disruption, où l’entrepreneur qui casse les codes et enfreint les lois se voit accorder une „grâce populaire” en vertu de son courage et, bien entendu, du service à prix cassé qu’il propose.
Mais si Uber peut ignorer la loi en Europe ce n’est pas le cas dans nombre de pays d’Asie. L’exemple du Japon est révélateur : la start-up ne peut violer les règles là-bas, au risque de se mettre la population à dos. Uber ne peut pas s’y présenter comme le chevalier blanc qui lutte contre la bureaucratie et les régulations, dans la mesure où le respect de la loi y est plus fort que l’admiration de l’audace. Au Japon, Uber a dû se confronter à des autorités qui ne lui ont accordé aucune tolérance et ont d’emblée considéré le service comme illégal puisqu’il ne disposait ni de licence officielle ni d’assurance spécifique.
Enfin, la pépite de la Silicon Valley doit se confronter à une culture qui n’est pas la sienne. Accepter les paiements en liquide, comme cela est l’usage en Inde, a fait prendre du retard à Uber sur son concurrent local Ola. En Thaïlande, dans des villes où les routes sont congestionnées, la start-up a dû lancer son propre service de moto-taxis, UberMOTO, afin de faire face à la féroce compétition locale de GrabBike et Go-Jeck. Au Japon de nouveau, le service américain de VTC est en passe de jeter l’éponge face à une offre de taxis qui n’a rien à lui envier en termes de qualité de service. Alors que les compétiteurs locaux proposent généralement des offres plus adaptées aux marchés, Uber a souvent tardé à évoluer et s’est davantage éloigné des consommateurs.
Une concurrence sévère s’oppose à Uber
En outre, la start-up de Travis Kalanick est soumise à une féroce compétition de la part de ses quatre concurrents principaux. Jusqu’à son éviction de Chine, Uber devait composer avec les 80% de part de marché de Didi. En Asie du Sud-Est, GrabTaxi lui oppose quant à lui une concurrence intransigeante. Enfin, en Inde, Ola, le leader local, dessert déjà 100 villes, revendique plus de 1 million de trajets effectués et vient de racheter pour 200 millions de dollars l’entreprise Taxi for Sure, un acteur majeur sur le marché indien des taxis. Selon des données révélées par TechCrunch, Ola pèserait aujourd’hui le double d’Uber en Inde.
La start-up américaine semble pourtant faire de ce pays sa prochaine cible : l’application a déjà investi 400 millions de dollars pour étendre y son marché et a lancé un nouveau service UberGo avec des prix qui talonnent ceux des „rickshaws” (les tuk tuk). Mais gare à ne pas tomber dans la même guerre de prix qu’en Chine. Si Ola semble moins capable de rivaliser que Didi, le marché indien des VTC attire nombre d’investisseurs qui pourraient bien freiner l’ascension du champion américain.
Enfin, il est intéressant de noter que les quatre concurrents principaux de Uber (Didi, Ola, GrabTaxi et Lyft aux Etats-Unis) se sont récemment associés. Alors qu’ils partagent tous le même investisseur (SoftBank, une société japonaise de télécom), ils ont aussi conclu un partenariat stratégique fin 2015 pour faire des économies d’échelle et gagner en efficacité. Leurs services de VTC ont été mutualisés pour permettre une offre plus importante de conducteurs pour chaque entreprise. Si le but n’est pas de fusionner, cela leur permet néanmoins de croître en toute sécurité sur de nouveaux marchés. „Nous sommes une startup qui prend ses précautions en termes de croissance„, a commenté un porte-parole de Didi.
En adoptant une stratégie de pénétration agressive Uber s’est peut-être fermé les portes d’un marché plus complexe qu’il n’en a l’air. Charge désormais à la start-up américaine de rectifier le tir en Inde.