Après de longues discussions, la Commission européenne a décidé de ne pas sanctionner l’Espagne et le Portugal pour leurs « dérapages » budgétaires de 2013 à 2015. Les deux pays risquaient jusqu’à 0,2 % du PIB d’amende. Mais, en échange de cette « bienveillance », la Commission impose aux Etats ibériques une nouvelle cure d’austérité et, conformément à la procédure, une partie des fonds structurels des deux pays ont été gelés. Et c’est peut-être là l’élément le plus important de cette annonce. La décision devra cependant encore être validée par les Etats membres au sein du Conseil, mais cette validation semble ne faire aucun doute.
Les 28 commissaires disposaient de trois options sur la table : l’annulation des sanctions financières – option défendue par Pierre Moscovici ; une sanction maximale de 0,2 % du PIB ou une sanction « symbolique » de quelques dixièmes de points de PIB – option soutenue par le vice-président letton de l’exécutif de l’UE, Valdis Dombrovskis. Mardi 26 juillet au soir, cette dernière option semblait, devoir l’emporter selon le journal espagnol El País. Ce mercredi matin, le site Politico affirmait même que Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, avait rejoint le camp de ceux qui étaient favorables à des sanctions. Le coup n’est donc pas passé loin.
Les raisons de la « bienveillance »
Le coup n’est donc sans doute pas passé loin. Mais les pressions hispano-portugaises et le soutien de l’Italie et de la France à l’annulation des sanctions a sans doute joué. Certes, des sanctions, même symboliques, auraient ravi ceux qui souhaitent que l’on renforce le respect des règles, mais elles auraient puni deux pays qui sortent de plusieurs années d’austérité dans un état politique, social et économique dégradé. De plus, les gouvernements de ces pays avaient montré plusieurs signes de bonne volonté. Les chiffres semestriels du budget portugais, publié mardi, montrait une grande rigueur des comptes publics du pays, appuyés par une forte baisse de 19,5 % de l’investissement public. En Espagne, le ministre des Finances Luís de Guindos avait promis une hausse de l’impôt sur les sociétés de 6 milliards d’euros et gelé les dépenses supplémentaires des ministères dès ce mois de juillet. Enfin, comme l’a souligné Pierre Moscovici, le commissaire aux Affaires économiques, cette « approche punitive n’aurait pas été la meilleure au moment où les peuples doutent de l’Europe ». Autrement dit, la sanction du Brexit envers l’UE a porté ses premiers fruits et a fait décidé la Commission à ne pas prendre une position trop dure.
Intervention de Wolfgang Schäuble ?
Selon le quotidien allemand Handelsblatt, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble aurait soutenu l’absence de sanctions. Ceci peut paraître étonnant de la part d’un des principaux pourfendeurs du „laxisme” de la Commission. Mais, comme on va le voir, cette absence de sanctions ne signifie pas un laxisme en termes d’austérité. Le ministre allemand aurait cependant ainsi voulu soutenir Mariano Rajoy, dont le gouvernement est un de ses plus sûrs alliés en Europe. Cette pression allemande aurait fait changer la majorité au sein de la Commission.
Fonds structurels gelés
Reste que si beaucoup s’en tiendront à un « laxisme » de la Commission en raison de l’absence de sanctions, il convient de ne pas oublier que cette procédure bloque les fonds structurels versés aux deux pays qui en ont beaucoup besoin, notamment parce que la croissance de ces pays est inégale sur le plan régional et social. Il y a donc en réalité sanctions. La Commission discutera d’ici à septembre de ce gel avec le parlement européen et pourra le lever après le 15 octobre lorsque les deux pays présenteront leurs mesures prises en 2016 et prévues en 2017. Mais Jean-Claude Juncker a prévenu que ce „gel pourrait être plus douloureux encore que les sanctions”. Il n’est donc pas juste de ne s’arrêter qu’aux sanctions.
Deux Etats sous haute surveillance budgétaire
Car, c’est un autre élément central : cette « bienveillance » de la Commission a un prix et il est assez élevé pour les deux pays. Pour le Portugal, l’objectif de déficit public pour cette année est abaissé de 2,7 % à 2,5 % du PIB et devra s’accompagner d’une réduction de 0,25 point de PIB du déficit structurel, autrement dit du déficit « lissé » des effets conjoncturels. Cette baisse, qui représente donc 450 millions d’euros d’ajustement à réaliser en quelques mois n’est pas « rien », comme l’a justement souligné Pierre Moscovici, soucieux de ne pas paraître trop laxiste. Et, de fait, elle va nécessiter pour le gouvernement socialiste portugais, qui gouverne grâce à l’appui de la gauche radicale, des négociations délicates avec ses alliés parlementaires. Ce sera aussi un coup dur – en plus du gel des fonds structurels – pour une économie qui n’a jamais vraiment rebondi après la crise, et dont la croissance tend plutôt à ralentir.
Concernant l’Espagne, la Commission a accordé deux ans au pays pour lui permettre de revenir sous les 3 %. Mais le chemin de l’ajustement imposé au pays est rude. Si, compte tenu de la situation politique, l’ajustement est réduit pour cette année avec un déficit toléré de 4,6 % du PIB, il est brusque pour 2017 où le déficit devra être de 3,1 % du PIB. En 2018, il faudra revenir à 2,2 % du PIB. L’effort sera donc notable : 1,5 point de PIB l’an prochain et 0,9 point l’année suivant, soit en tout 24 milliards d’euros. Et la Commission exige pour 2017 une baisse des dépenses structurelles de 5 milliards d’euros. Le prochain gouvernement espagnol va donc devoir préparer un plan d’austérité particulièrement difficile. Ceci ne va pas faciliter la formation de l’exécutif car durant les deux campagnes électorales, tous les partis s’étaient engagées à ne pas pratiquer de nouvelles coupes budgétaires. Et là encore, l’impact sur la conjoncture devra être observé : en 2015, c’est aussi parce que l’austérité a été inversée en Espagne que la croissance a été vive. A un moment où toutes les institutions prévoient là aussi un ralentissement de la croissance espagnole, ces mesures imposées par Bruxelles ne sont pas neutres.
Les deux pays restent donc sous très haute surveillance budgétaire. Le 15 octobre, il leur faudra présenter les mesures prévues pour rentrer dans les clous. Rien ne dit, en réalité, que, comme l’affirme Pierre Moscovici, ces décisions soient « réalistes », ni économiquement, ni politiquement. Et s’il y a de nouveau « dérapage », la Commission aura, cette fois, bien du mal, à ne pas proposer de sanctions, sauf en effet à discréditer totalement cette procédure, ce qu’une partie du Conseil européen n’est certainement pas prêt à réaliser.
Voie moyenne
La Commission européenne a donc choisi une voie moyenne. Elle a imposé un parcours d’ajustement difficile pour les deux pays pour ne pas passer pour trop laxiste aux yeux des « faucons » du Conseil, notamment à ceux de Wolfgang Schäuble qui demande des sanctions automatiques et le dessaisissement de la Commission de la surveillance budgétaire. Mais elle a annulé les sanctions pour montrer sa bonne volonté et sa « compréhension » vis-à-vis des situations des deux pays. C’est une position avant tout politique qui vise à renforcer un exécutif européen très critiqué en donnant des arguments aux uns et aux autres en sa faveur.
Absence de coordination des politiques budgétaires et monétaires en Europe
Dans les faits, pourtant, la situation demeure la même : la politique économique européenne demeure centrée sur l’idée d’un ajustement unilatéral des déficits, ce qu’un document signé par les ministres français et allemands des affaires étrangères le 25 juin dernier dénonçait précisément. Elle ne prend pas en compte la réalité globale de la zone euro et la pression exercée par l’immense excédent courant allemand sur les pays les moins compétitifs. Cet excédent, de plus de 8 % du PIB, est pourtant considéré par la Commission comme un « déséquilibre macroéconomique », mais il n’est pas sanctionné, alors même que Berlin ne prend aucune mesure pour le corriger puisque la politique budgétaire allemande vise à maintenir un excédent budgétaire.
Le résultat d’une telle politique est que pendant que le Japon et le Royaume-Uni tente de coordonner les politiques budgétaires et monétaires, la zone euro demeure tirés entre des injonctions contradictoires : une politique monétaire ultra-expansionniste et une politique budgétaire qui pèse sur la croissance, y compris de pays qui, comme le Portugal ou la France, ont un faible taux de croissance. Comment croire que le plan Juncker peut relancer l’activité lorsque l’on maintient la chape de plomb de l’austérité dans des pays qui, comme le Portugal ou la Grèce, sont largement oubliés par ce plan ? Le recul dans ces pays de l’investissement public risque de devenir préoccupant à terme, alors même que le déficit d’investissement global dans la zone euro reste de 250 milliards d’euros environ par an.
La Commission, quoi qu’elle en dise, a confirmé la politique déflationniste, la seule qu’elle peut imposer aux Etats membres, au moment même où la BCE tente de lutter contre l’inflation faible. Comme l’Allemagne refuse toujours une relance qu’elle seule pourrait sans doute se permettre, il n’y a rien d’étonnant à ce que la zone euro reste dans un état de fragilité permanente et dotée d’une croissance réduite. La Commission a choisi une voie moyenne politique, mais elle reste attachée à la même politique économique incohérente qu’auparavant.