En 2015, le marché automobile français a été tiré par les flottes d’entreprise, prenant de court les analystes et les prévisions des constructeurs. L’avènement d’un marché désormais dominé par les flottes automobiles modifie en profondeur ses caractéristiques principales et conduit les constructeurs à adapter leur stratégie commerciale.

Automobile : comment les flottes d'entreprise ont changé la donne
En France, 70% des ventes de Passat sont destinées à des flottes d’entreprise. (Crédits : DR)

Quelle excellente surprise ce fut ! Le marché automobile français a terminé l’année 2015 sur une progression inattendue de 6%. Les constructeurs et analystes tablaient sur une hausse maximale de 3%, pour les plus optimistes.

Un mouvement du marché impossible à anticiper

En examinant l’exercice 2015, on découvre que le marché des particuliers était en ligne avec les prévisions. En réalité, le marché doit aux entreprises d’avoir stimulé les ventes. Pour Hadi Zablit, directeur associé spécialiste du secteur automobile au Boston Consulting Group (BCG), „il est plus difficile de modéliser les perspectives d’évolution du marché des flottes”. Autrement dit, il était impossible d’anticiper ce mouvement, tout comme il est impossible d’avoir une projection sur l’année en cours.

Il semblerait d’ailleurs que l’année 2016 s’oriente vers le même schéma. Alors que les prévisions anticipaient une hausse de 2% cette année, le premier trimestre a d’ores et déjà enregistré une hausse de 8%. Le marché des voitures de sociétés serait également le principal vecteur de cette dynamique. Il se serait ainsi accaparé 52% du marché du neuf sur les trois premiers mois de l’année. Du jamais vu ! Pour rappel, le marché des voitures de société correspondait à seulement 37% du marché en 2000 mais n’a jamais cessé de croître.

Et certains observateurs pensent que ce mouvement devrait se poursuivre. Pour Bernard Fourniou, président de l’Observatoire du véhicule d’entreprise :

„Pendant la crise, les entreprises ont gelé les achats de voitures et prolongé la durée de leurs contrats de location longue durée. Aujourd’hui, elles opèrent tranquillement un rattrapage. On ne constate pour le moment aucun affaiblissement de la demande.”

Faible décote à la revente, l’atout maître des marques Premium

Cela n’a l’air de rien, mais cela pourrait significativement modifier la structure du marché surtout si cette tendance s’inscrit dans la durée. Les marques Premium pourraient ainsi être les premières à en profiter. D’ailleurs, BMW et Audi ont vu leurs immatriculations augmenter de 22% au premier trimestre en France. A l’inverse, les petits segments sont malmenés. Les ventes de Twingo ont baissé de 19% entre les premiers trimestres 2016 et 2015, passant de la 7e à la 10e place des voitures les plus vendues en France.

Car les flottes d’entreprises ont tendance à s’intéresser aux modèles dont la valeur résiduelle se détériore le moins, histoire de limiter la décote lors de la revente. Or, c’est une prérogative quasi-exclusive des marques Premium, même si on compte quelques exceptions de marques à l’image très forte.

Volkswagen vend 70% de ses Passat à des sociétés

Du coup, les marques généralistes sont contraintes de se concentrer sur le coût à l’usage pour être au moins aussi compétitives et tenter de rattraper le point faible de la décote: coût de la maintenance, consommation de carburant, fiscalité intéressante en évitant les malus, etc. Non sans succès, d’ailleurs.

Volkswagen, par exemple, est plutôt bien placé en termes de coût d’usage, tout en poussant son image de marque généraliste Premium, et voit ainsi 70% de ses Passat partir vers des achats de société. Renault a relancé une série de voitures très appréciées des flottes comme la Talisman ou la Mégane. Carlos Tavares, lui, s’est donné cinq ans pour que les voitures estampillées Peugeot affichent une valeur quasi-égale après trois ans d’ancienneté.

Finitions „business”, retour du moteur essence… les gammes s’adaptent

Pour les constructeurs, cela implique de muscler les services dédiés mais également des prestations spécifiques aux entreprises. Bernard Fourniou remarque que „les constructeurs ont multiplié, ces dernières années, les finitions dites « business »”. Même Dacia a décidé de passer à l’offensive avec l’arrivée de la boîte automatique.

L’Observatoire du véhicule d’entreprise observe également un fléchissement des ventes de diesel, motorisation-reine des entreprises. „Le taux de 90% de diésélisation du marché des entreprises était une anomalie”, explique Bernard Fourniou. „Aujourd’hui, les médias, la fiscalité mais également les offres des constructeurs poussent les entreprises à intégrer des voitures essence dans leur parc”, analyse-t-il. „En-dessous de 20.000 km par an, il y a souvent un avantage, au regard du coût d’usage à choisir une motorisation essence”, poursuit-il.

Moindre rentabilité des flottes: les constructeurs se réorganisent

Le marché automobile prend donc un virage extrêmement structurant. D’un côté, les flottes vont faire l’essentiel des volumes de vente. De l’autre, les particuliers vont changer d’attitude. Bertrand Rakoto, analyste spécialiste de l’automobile, observe que „les particuliers s’orientent de plus en plus vers le marché des occasions récentes”. Un marché donc directement alimenté par les flottes d’entreprises. Mais il n’est pas certain que les constructeurs s’y retrouvent. Comme le rappelle Hadi Zablit :

„Les flottes sont moins rentables que les ventes au particulier parce que les entreprises négocient de fortes remises, qui vont jusqu’à 40% du prix de vente catalogue notamment pour les utilitaires.”

Pour les constructeurs, ce nouveau paradigme oblige à revoir la façon de vendre des voitures. Les captives, les banques des constructeurs, prennent une place de plus en plus importante dans les stratégies d’entreprises. Les réseaux sont également de plus en plus sollicités pour viser petits et grands portefeuilles d’entreprises. Des équipes dédiées sont également mises en place pour être à l’offensive sur ce marché. Autrement dit, c’est une nouvelle bataille commerciale qui s’ouvre dans l’industrie automobile française.

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