Il étaitcette semaine à Dresde, puis samedi à Stuttgart (Allemagne), pour une réunion de travail avec ses homologues européens. Une rencontre portant justement sur la gestion des flux migratoires et du droit d’asile, dont Bernard Cazeneuve a fait un axe fort de sa politique.
Pour notre journal, le ministre de l’Intérieur revient sur les enjeux français et européens de l’afflux de réfugiés.
2015 devrait être une année record en termes de traversée de la Méditerranée par des migrants, dont 2 000 au moins ont déjà perdu la vie. L’action européenne est-elle à la hauteur des enjeux ?
BERNARD CAZENEUVE. Depuis un an, la France est à l’initiative pour que l’Europe apporte une réponse à la hauteur du défi qui lui est posé. Avec des résultats concrets : grâce au triplement des moyens de Frontex, des milliers de migrants ont pu être sauvés en mer Méditerranée ces dernières semaines. C’est l’honneur de la France et de l’Europe. Ces opérations visent à contrôler les frontières, tout en respectant scrupuleusement le droit maritime et l’obligation de porter secours. Ce dispositif permet aussi de détecter les passeurs et de les traduire en justice. Quand j’entends certains dire que la France et l’Europe ne font rien, c’est de la désinformation.
On a tout de même le sentiment qu’en termes de coordination, les pays de l’Union peuvent mieux faire…
Il faut bien sûr aller plus loin et nous y travaillons. Nous sommes déjà d’accord avec l’Allemagne sur une position commune et forte : humanité et fermeté. Humanité avec les réfugiés des pays en guerre que nous devons accueillir au titre de l’asile, fermeté contre l’immigration irrégulière et ses filières criminelles de passeurs, en organisant le retour des migrants irréguliers dans leur pays d’origine.
L’Italie et la Grèce restent toutefois en première ligne, et se plaignent d’un manque de solidarité de l’Union…
Il doit y avoir une répartition solidaire d’une partie des réfugiés entre les pays de l’Union. Mais ce qui est essentiel, c’est d’abord de distinguer entre les migrants économiques irréguliers, qui doivent être reconduits dans leur pays d’origine, et ceux qui sont persécutés et relèvent donc du droit d’asile. Pour cela, nous plaidons pour la création de centres d’attente en Italie et en Grèce où ce recensement pourra être effectué, avec l’appui de l’Union européenne.
N’est-il pas alors paradoxal que votre gouvernement soit opposé à une répartition par quotas des demandeurs d’asile ?
L’idée de quotas est absurde. D’une part, pour les demandeurs d’asile, dont les demandes reposent sur des critères précis et non des objectifs chiffrés. Et d’autre part, pour les migrants irréguliers, que l’on ne saurait accueillir, puisqu’ils doivent être reconduits dans leur pays d’origine. Et je souhaite que ces retours se fassent sous l’égide de Frontex, directement depuis les pays par lesquels ces migrants sont arrivés en Europe. La Commission européenne ne propose d’ailleurs pas de quotas. Ce qu’elle propose, c’est une clé de répartition des personnes en besoin manifeste de protection. La France y est ouverte, sous réserve d’ajustements significatifs dont nous discutons actuellement.
Mais que faire de ceux dont on sait que la vie est menacée s’ils rentrent chez eux ?
Pour les Syriens ou les Erythréens, par exemple, qui sont persécutés dans leur pays, les expulsions ne sont en effet pas envisageables et nous faisons le nécessaire pour les accueillir. A Calais, il y a deux semaines, 111 Erythréens se sont fait expliquer leurs droits, avec l’aide de traducteurs, et ont été pris en charge. A Paris et à Calais, des squats ont été évacués cette semaine, car il n’est pas question de laisser se développer des campements sauvages dans des conditions humanitaires, sanitaires et d’atteinte à l’ordre public inacceptables.
Certains de ces migrants ne souhaitent toutefois pas demander l’asile en France…
En effet, pour beaucoup de migrants, la France est plutôt un pays de transit. J’en veux pour preuve qu’en 2014 le nombre de demandes d’asile déposées dans notre pays a légèrement diminué, comparé à 2013. Il n’y a donc pas d’explosion de la demande d’asile en France comme le disent certains, même si ces migrants sont particulièrement visibles à certains endroits, comme à la frontière italienne, à Vintimille, ou à Calais. Concernant Calais justement, je travaille avec mon homologue britannique pour que le Royaume-Uni prenne aussi toute sa part du problème.
De quelle manière peut-on travailler avec les pays de départ ?
En montant des projets et en collaborant avec eux, notamment en Afrique. J’ai ainsi rencontré récemment les autorités du Mali et le président du Cameroun et celui du Niger. N’oublions pas que 70 % des migrants passent par le Sahel, où ils font le profit des passeurs et des trafiquants d’êtres humains.