Pour les banquiers centraux aussi, l’heure est à la rentrée. La plupart des grands argentiers de la planète se retrouvent ce jeudi 25 août, jusqu’à samedi, dans le cadre de leur symposium annuel à Jackson Hole, dans l’état du Wyoming, à l’Ouest des Etats-Unis. Une édition 2016 qui s’intitule « Les banques centrales : le problème ou la solution ? » De fait, ces dernières années, face à des gouvernements qui ont sacrifié l’élaboration de véritables politiques de relance sur l’autel des réductions budgétaires, les banques centrales, avec leurs politiques monétaires ultra-accommodantes, sont apparues comme « la » solution aux grands problèmes financiers et économiques du monde.
Et ce, depuis la crise des « subprimes » (crédits hypothécaires américains risqués) de 2007, jusqu’aux risques engendrés par le Brexit, en passant par la récession mondiale de 2009 et la crise des dettes souveraines de la zone euro, en 2011. A chaque fois, les banques centrales, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe ou en Asie, ont joué les pompiers de service, en déversant des milliers de milliards de dollars de liquidités sur les marchés, et en abaissant leurs taux d’intérêt à des niveaux toujours plus bas, afin de relancer l’économie.
La faiblesse des taux n’incite plus les entreprises américaines à investir
Mais ces mesures exceptionnelles dites de « quantitative easing » (assouplissement quantitatif) ont, par définition, une fin, et, de toute façon, des limites. La preuve avec les investissements des entreprises américaines, en baisse depuis trois trimestres consécutifs, signe que la faiblesse des taux d’intérêt ne parvient plus à encourager les patrons, trop inquiets des perspectives économiques, à parier sur l’avenir. Or l’économie américaine, qui a progressé au mieux de 1,25% au cours des quatre derniers trimestres, a grandement besoin d’investissements, en particulier dans l’innovation, afin de donner un nouvel élan à la hausse de la production par heure de travail, qui a été ramenée d’une moyenne de 3% par an entre 1947 et 1973 à 0,5% depuis 2010.
Et, contre cette érosion de la productivité, qui résulte en partie de facteurs démographiques, la Fed ne peut pas grand-chose :« La politique monétaire n’est pas bien équipée pour traiter des problèmes à long terme, tels que le ralentissement de la hausse de la productivité », a souligné Stanley Fischer, le vice-président de la Réserve fédérale américaine (Fed), dimanche dernier, dans un discours prononcé à Aspen (Colorado).
Des politiques monétaires qui ne peuvent se substituer aux politiques économiques
Un raisonnement qui vaut également pour la Banque centrale européenne (BCE) et pour la Banque du Japon, lesquelles ont pourtant poussé l’arsenal de leurs mesures de politique monétaire non conventionnelles jusqu’à amener leurs taux en territoire négatif. Las ! « Au Japon, la Banque centrale lutte contre la stagnation de l’activité et des prix, dont l’origine est la faiblesse anormale des salaires, contre laquelle le gouvernement ne fait rien (…) La politique monétaire très expansionniste de la Banque du Japon ne peut pas corriger ces effets du recul des salaires : les taux d’intérêt très bas ne peuvent pas compenser perpétuellement le recul du pouvoir d’achat des ménages », décrypte Patrick Artus, dans une tribune publiée jeudi 25 août sur lepoint.fr.
De la même façon, selon le chef économiste de Natixis, c’est en vain que la BCE tente de corriger la contraction de l’activité résultant de l’arrêt de la mobilité des capitaux entre les différents pays de la zone euro, ou que la Banque d’Angleterre, qui a abaissé son taux d’intérêt directeur début août, s’efforce de redorer l’attractivité d’une économie britannique ternie par le résultat du référendum sur le Brexit. « La politique monétaire expansionniste ne peut pas corriger les effets de problèmes structurels non résolus (par les gouvernements) », insiste Patrick Artus.
Relancer les investissements publics
Un écho aux propos tenus dimanche par Stanley Fischer, le vice-président de la Fed : « La politique macroéconomique ne peut se résumer à la politique monétaire. » En clair, il est temps que les Etats prennent le relais des banques centrales pour soutenir l’économie. Par exemple, comme le suggère Stanley Fischer, en augmentant les dépenses publiques consacrées aux routes, ponts et autres infrastructures, ou encore dans l’éducation et la formation. La nécessité de relancer l’investissement public dans les infrastructures est précisément l’un des rares points sur lesquels s’accordent les deux principaux candidats à l’élection présidentielle américaine, la démocrate Hillary Clinton et le républicain Donald Trump. Ce discours sur une indispensable relance budgétaire est aussi celui tenu par l’OCDE et le FMI depuis quelques mois.
Le Japon a, quant à lui, adopté le 2 août un plan de relance de 246 milliards d’euros, afin de revigorer une croissance qui ne devrait pas excéder 0,3% cette année, selon le Fonds monétaire international. Le Royaume-Uni aussi pourrait déployer cet automne un plan de relance, afin de tenter d’enrayer l’érosion de l’économie britannique liée au Brexit. Autant de raisons d’espérer que, faute d’être des solutions pérennes aux maux économiques et financiers, les politiques monétaires ultra-accommodantes des banques centrales ne deviennent pas des problèmes, en augmentant l’appétit des investisseurs pour les actifs les plus risqués.