La banque italienne Monte dei Paschi di Siena a été sauvée grâce à une solution privée. Est-ce la preuve que l’union bancaire a été efficace pour protéger l’argent public ? Pas vraiment…

Le sauvetage annoncé de la banque italienne Monte dei Paschi di Siena (MPS) annoncé vendredi signe-t-il le premier succès de l’union bancaire européenne et de son système de résolution des crises ? La solution trouvée par MPS est une solution « privée », n’impliquant ni aide publique directe, interdite par le mécanisme de résolution européen, ni participation des créanciers et déposants à la restructuration (le fameux « bail-in » prévu par ce mécanisme).

Une interprétation pourrait considérer que ce serait la crainte de cette dernière solution et l’impossibilité légale de la première qui auraient donc aurait conduit l’Etat italien à favoriser une solution « de marché ». Laquelle épargnerait l’argent du contribuable. La pression que la directive européenne de résolution BRRD a donc placé sur le gouvernement de Matteo Renzi serait alors parvenue à donner son plein potentiel, précisément parce qu’il fallait éviter de l’appliquer. Dans ce cadre, ce premier sauvetage bancaire depuis l’application de la résolution unique le 1er janvier dernier serait un succès éclatant.

Les modalités du sauvetage

La réalité est cependant plus complexe. Car cette solution « privée » n’en est une qu’en apparence. Rappelons les grandes lignes de ce sauvetage bancaire. Il se divise en deux grandes parties. La première est la « sortie » du bilan de MPS des 27,7 milliards d’euros de créances douteuses sous la forme d’un rachat par une structure ad hoc appelée pour le moment « Sec.Co », laquelle devra les titriser et les vendre sur le marché. La seconde est la recapitalisation de MPS par une augmentation de capital de 5 milliards d’euros destinée à « couvrir » les pertes enregistrées par la banque entre les prix de rachat des créances douteuses et leur prix nominal comptabilisé dans le bilan. Si la première phase est réalisée, plusieurs grandes banques d’affaires se sont engagées à souscrire à cette augmentation de capital, qui dilue fortement les actionnaires actuels puisque la capitalisation boursière de MPS est de moins d’un milliard d’euros.

La question de la sécurisation

Cette première phase est donc cruciale. Or, c’est la plus délicate. Concrètement, les créances douteuses de MPS voient leur valeur diviser par trois et passer à 9,2 milliards d’euros. Cette décote est inférieure à celle du marché qui ne donnait pas plus d’un cinquième du prix nominal pour racheter ces titres. Sec.Co va ensuite réaliser des « blocs » de créances pour en faire des titres financiers négociables, des Asset-Backed Securities (ABS) ou titres garantis par des actifs, qu’elle va vendre sur le marché pour financer le rachat à MPS. C’est donc en théorie le marché qui va financer ce rachat.

Une solution « privée » pilotée par l’Etat

Seulement, ces ABS seront divisés en trois catégories. Les moins sûrs, appelés « juniors », ne seront garantis que par les actionnaires de MPS. Ceci réduira donc le montant « net » de la transaction en cas de défaillances. Des créances pour un total de 1,6 milliard d’euros – 4,8 milliards d’euros de valeur nominale – sont concernées. Mais l’augmentation de capital viendra compenser cette perte. Une deuxième tranche, appelée « mezzanine », également de 1,6 milliard d’euros, sera reprise par le fonds Atlante, fonds créé au printemps pour aider les banques. Ce fonds était théoriquement constitué des apports du secteur bancaire italien, comme une sorte de fonds d’assurance du secteur. Mais, cette fois, les apports du secteur privé devraient être plus limités. Unicredit et Intesa Sanpaolo devraient se contenter des montants engagés lors de la constitution du fonds, soit 300 millions d’euros. Pour le reste, outre l’assureur Generali, les contributeurs du fonds Atlante destiné au rachat de ces créances de MPS seront les fonds de pension et la banque Cassa Depositi e Prestiti (CDP), banque équivalente à la CDC française appartenant à 80 % à l’Etat italien.

Comme les fonds de pension ont répondu à une demande pressante du ministère des finances, on voit que la « solution privée » est ici réduite. Concrètement, si l’argent des contribuables n’est pas directement engagé sur cette tranche mezzanine, il y a là une intervention publique claire qui, en cas de pertes substantielles, devra se solder par de l’argent public ou des garanties publiques. L’aide publique n’est, en réalité, pas très loin.

La garantie publique s’exerce bien

L’action publique concernant la dernière tranche de prêts titrisés est encore plus claire. En effet, cette tranche de 6 milliards d’euros – 18 milliards d’euros de valeur nominale – jugée la « plus sûre » et appelée « senior », sera garantie par l’Etat italien via son fonds GACS (« garantie pour les titrisations de créances douteuses en souffrance ») créé en février. Avec l’appui de cette garantie, Sec.Co devra vendre les ABS sur le marché. Les investisseurs seront en théorie rassurés de voir l’intégralité de leurs pertes en capital pris en charge par… l’Etat italien. Et c’est en réalité le seul vrai argument pour acheter de tels titres qui, rappelons-le, comportent des créances qui sont très peu susceptibles d’être remboursées, y compris au prix bradé auquel Sec.Co l’a racheté à MPS, puisque ce prix est encore supérieur de 40 % à celui du marché. L’investisseur bénéficiera cependant d’une deuxième incitation, elle aussi publique, celle de la BCE qui rachète depuis 2014 des ABS sur le marché secondaire, ce qui soutient les cours.

Subvention publique à la future plus-value de revente de MPS…

Avec ces deux arguments, Sec.Co espère pouvoir vendre ces titres. Autrement dit, si les créances douteuses de MPS se vendent, ce sera grâce à la garantie publique. Les contribuables italiens, via le GACS, et européens, via la BCE, vont devoir assurer les pertes réalisées sur ces titres. Le sauvetage par l’argent public aura donc bien lieu, même s’il est transféré de la banque elle-même vers les investisseurs de marchés. Or, du succès de cette titrisation dépend tout l’édifice du sauvetage de MPS : ce n’est qu’une fois les tranches seniors vendues que la recapitalisation de MPS aura lieu. Pourquoi ? Parce que le « pool » bancaire qui s’est engagé à injecter 5 milliards d’euros dans MPS pour rétablir son bilan n’a comme ambition que de le revendre plus cher dans l’avenir en présentant la banque comme épurée grâce principalement à la garantie publique. Sans l’appui du contribuable italien, le sauvetage de MPS est clairement impossible. Mieux même, avec cette usine à gaz, c’est précisément le contribuable italien qui rend possible la future plus-value des nouveaux actionnaires de MPS…

En théorie, donc, la solution proposée, en respectant la directive européenne de résolution, protège l’argent public. Mais en théorie seulement. En réalité, l’Etat italien « subventionne » le secteur privé en garantissant via le GACS un prix surévalué pour les créances douteuses de MPS. En agissant ainsi, il réduit artificiellement le prix de MPS pour ses futurs actionnaires puisqu’il prend à sa charge la surévaluation de l’actif du bilan. Ces futurs actionnaires – principalement des banques d’affaires – vont donc s’offrir MPS à bon compte et, ainsi, pouvoir espérer revendre avec une bonne plus-value une banque assainie grâce à la garantie publique. Au final donc, malgré la directive européenne – ou à cause d’elle – l’Etat subventionne donc les futurs bénéfices des banques d’affaires qui ont participé à la « solution privée » pour la banque italienne.

L’argent public assez peu défendu

Où que l’on se tourne, on trouve donc la main de l’Etat et sa garantie, explicite ou implicite, directe ou indirecte. Il n’y a donc pas eu de « solution vertueuse » où, grâce à la directive européenne, le marché a pris le relais de l’Etat. C’est bien l’Etat qui a monté une solution qui sauve les apparences pour éviter l’application de la directive européenne en réalité inapplicable en Italie. Cette solution est possible pour sauver une banque comme MPS, mais pas pour régler le problème bancaire italien. Ni pour régler une crise dans un contexte de tension générale sur le marché bancaire. L’union bancaire n’a donc pas été réellement capable de « protéger » l’argent public.

Les limites de l’union bancaire demeure

En cas de vraie crise bancaire généralisée, comme en 2008 ou même dans un contexte comparable à 2010-2012, cette solution aurait été impossible, car le secteur privé, même subventionné, aurait refusé de prendre en main une banque comme MPS. La question du « bail-in » et de son impact macroéconomique en cas de participation des créanciers des banques et des déposants de plus de 100.000 euros dans un pays comme l’Italie continue donc à se poser. De fait, il reste encore 330 milliards d’euros de créances douteuses dans le système bancaire italien. En procédant de la même façon que pour MPS pour le reste de ces créances, on créerait un immense marché de ce qu’il faut bien appelé des « subprimes » garantis par l’Etat. La comparaison est d’autant plus pertinente que, pour que le GACS garantisse les prêts titrisés, il faut qu’une agence de notation lui attribue une note en catégorie « investissement » avant la garantie. Or, donner à un ensemble de créances douteuses une telle note ne peut se faire que grâce à la garantie de l’Etat. On est donc dans une manipulation digne des feus subprimes et, à l’échelle de l’Italie, ce serait une bombe à retardement d’autant plus inquiétante que ces ABS seront sans doute repris en partie par les fonds d’assurance-vie.

Le calendrier politique domine

En réalité, le gouvernement de Matteo Renzi a surtout voulu éteindre le feu qui couvait au plus vite et obtenir le calme avant le référendum sur les réformes constitutionnelles d’octobre, référendum où le premier ministre italien a engagé sa propre responsabilité. Matteo Renzi pourra prétendre ainsi avoir apaisé la crise bancaire. Mais l’augmentation de capital n’est prévu qu’à « la fin de l’année », bref après le référendum. Si, malgré les garanties multiples de l’Etat, les ABS ne sont pas écoulés et qu’il faut finalement appliquer le « bail-in », ce sera donc après le vote. C’était le but principal du gouvernement italien.

Une façon de soutenir la croissance ?

Reste une dernière question, centrale, au-delà même de la nature de ce sauvetage bancaire : sera-t-il efficace pour relancer l’offre de crédit, élément essentiel à la relance de l’économie péninsulaire ? Car sans retour de la croissance, le problème bancaire italien va rester entier. Le gouvernement s’en dit persuadé. Dans son communiqué du 29 juillet 2016, le ministre italien des Finances, Pier Carlo Padoan, a affirmé que l’opération « permettra à la banque de développer un solide plan industriel grâce auquel le soutien à l’économie réelle augmentera grâce à l’attribution de prêts aux familles et aux entreprises ».  Mais rien n’est moins sûr. Dans le contexte actuel de faible croissance, MPS repris par un pool bancaire soucieux de sa plus-value et débarrassé de l’essentiel des créances douteuses va sans doute se caractériser par une politique très prudente. Il n’est pas certain que l’économie italienne, qui a besoin d’un choc d’investissement, donc d’une prise de risque bancaire, en profite. Il y a beaucoup de naïveté à penser que les banques vont investir 5 milliards d’euros pour prendre des risques dans une économie réelle italienne déprimée.

D’autant que, puisque le plan MPS n’est pas reproductible à d’autres banques italiennes, ces dernières, qui ont montré leur faiblesse dans les stress tests de la BCE et qui restent plombées par les créances douteuses, vont continuer à épurer leur bilan. Or, sans crédit, pas de croissance, et donc plus de créances douteuses. Le problème bancaire italien risque donc de rester entier, ou presque. Il n’aura été que repoussé à plus tard. Plus que jamais, l’Italie souligne les limites de l’union bancaire européenne.

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