La résistance microbienne aux antibiotiques suscite une inquiétude grandissante. Fin mai, l’identification chez une femme d’une super-bactérie résistant aux antimicrobiens, pour la première fois aux États-Unis, a poussé les autorités publiques à multiplier les actions. Dernière en date, le jeudi 28 juillet, les institutions publiques de santé britannique et américaine ont annoncé s’associer pour accélérer le développement de nouveaux antibiotiques, rapporte Reuters, jeudi 28 juillet. Cette alliance donne naissance à l’organisation Carb-X.
350 millions de dollars investis sur cinq ans
Le département américain de la santé va mettre 30 millions de dollars sur la table la première année et 250 millions de dollars sur les cinq ans à venir dans ce projet. Le centre britannique de résistance anti-microbienne va quant à lui dépenser d’entrée 14 millions de dollars et 100 millions sur les cinq prochaines années. L’objectif de Carb-X est d’apporter de nouveaux antibiotiques, diagnostics et vaccins par le développement préclinique précoce à un stade où ils peuvent être développés par d’autres investissements privés ou publics. Il mettra l’accent sur des projets de petites entreprises et de groupes académiques.
Dans le détail, les membres de Carb-X vont mettre en commun leurs connaissances, expertises, techniques et financements pour aider les projets à obtenir des autorisations de mise sur le marché de leurs nouveaux antibiotiques, notamment en Europe et aux États-Unis, rapporte le Financial Times. L’organisation commencera à choisir les sociétés qu’elle aidera financièrement à partir de septembre.
Cette initiative fait en outre suite à l’appel lancé par l’ancien Premier ministre britannique, lors du dernier G7 en mai. David Cameron proposait de récompenser les laboratoires pharmaceutiques qui cherchent des moyens pour lutter contre les bactéries résistantes, rapportait Reuters. L’idée était que tous les fabricants de médicaments développant de nouveaux traitements efficaces pour remplacer les antibiotiques inefficaces puissent recevoir une récompense pouvant atteindre 1 milliard de livres (1,3 milliard d’euros), si leurs produits fonctionnent contre des agents pathogènes résistants et pour des situations d’urgence.
Les labos peu enclins à faire de la R et D
Les laboratoires pharmaceutiques se sont détournés de la R et D dans le domaine. D’après l’ONG The Pew Charitable Trusts,37 nouveaux antibiotiques étaient en phase d’essais cliniques en mars au total, dont 13 en phase III (dernière phase avant de pouvoir obtenir une autorisation de mise sur le marché). Un chiffre bien faible si l’on compare à des domaines phares investis par les laboratoires pharmaceutiques. En comparaison, Roche à lui seul dispose de plus de 70 molécules et associations de molécules en développement dans son pipeline en oncologie, dont 26 en phase III…
Par ailleurs, on recense peu de gros laboratoires pharmaceutiques travaillant sur de nouveaux antibiotiques. AstraZeneca développe deux associations de molécules en phase II, Merck en développe une phase III, GSK travaille sur une molécule en phase II.
L’oncologie, le diabète et les maladies auto-immunes privilégiés
L’explication est simple, le retour sur investissement est considéré comme très faible, alors que les laboratoires pharmaceutiques cherchent à se recentrer sur les secteurs les plus lucratifs: l’oncologie, le diabète et les thérapies des maladies auto-immunes, principalement et cèdent les portefeuilles jugés moins rentables.
Interrogé dans le Pharmaceutical Journal, le directeur Mahesh Patel de Wockhardt, une société pharmaceutique indienne expliquait „le coût des essais cliniques est très élevé et la société n’est pas prête à payer un prix élevé pour les antibiotiques, c’est un paradoxe”.
Ainsi, en janvier, plus de 80 sociétés pharmaceutiques et de diagnostics ont lancé un appel à trouver un modèle économique pour le développement de nouveaux antibiotiques, dont AstraZeneca, GlaxoSmithKline et Merck, qui eux-mêmes travaillent sur de tels projets ou encore Johnson & Johnson et Pfizer.
Déversements de déchets actifs: la responsabilité des labos en question
Il faut dire que les laboratoires pharmaceutiques, en plus d’être accusés de ne pas faire assez de recherche et développement dans ce domaine, sont suspectés d’être en partie responsables de la résistance aux antibiotiques. En juin 2015, une étude de l’organisation des consommateurs SumOfUs dénonçait le lien entre les grandes entreprises pharmaceutiques occidentales et certains producteurs chinois de médicaments, qui déversent leurs déchets actifs dans la nature environnante. Car cela crée de nouvelles générations d’organismes plus résistants aux antibiotiques. Dans le détail, ces résistances peuvent survenir via une mutation génétique affectant le chromosome de la bactérie, permettant à cette dernière de contourner l’effet délétère de l’antibiotique, souligne l’Inserm.
Or ces „superbactéries” peuvent se disséminer rapidement dans le monde entier, à l’intérieur du corps humain. Elles peuvent aussi être transmises par le contact, via l’eau, les cultures et les produits animaux, précise l’enquête. Et grâce aux moyens de transport modernes, elles parcourent ainsi de très grandes distances, se diffusant massivement.
Eviter les prescriptions inutiles
L’autre solution pour lutter contre la résistance aux antibiotiques serait d’éviter les prescriptions inutiles. Selon une étude publiée par la revue médicale Science Translational Medicine, un test sanguin expérimental pourrait dans quelques années permettre aux médecins de déterminer si une infection est d’origine virale ou bactérienne, évitant ainsi de prescrire inutilement des antibiotiques inefficaces contre des virus, rapportait l’AFP le 6 juin.
Selon les Centres fédéraux de contrôle et de prévention des maladies (CDC), un tiers des 154 millions d’ordonnances pour des antibiotiques prescrites chaque année par les médecins lors d’une consultation aux États-Unis n’est pas nécessaire.
Le coût gigantesque de la résistance des „super-bactéries”
La résistance aux antibiotiques pourrait tuer 10 millions de personnes par an à l’horizon 2050, soit une toutes les trois secondes, et ainsi faire plus de morts que le cancer, selon un rapport commandé par le gouvernement britannique au début de l’année. Celui-ci rapporte en outre que plus d’un demi-million de personnes sont mortes à cause d’une infection liée à la résistance aux antibiotiques depuis la mi-2014.
Et le coût économique mondial serait énorme, si aucune action concrète forte n’est menée contre la résistance des „super-bactéries”: il est estimé à 100.000 milliards de dollars d’ici à 2050.