L’échec du coup d’Etat en Turquie remet en cause les fondements de l’accord sur les réfugiés passé avec Ankara. Une situation à haut risque pour Angela Merkel.

Le putsch manqué en Turquie ne pouvait pas tomber plus mal pour Angela Merkel. La réponse vigoureuse du président Recep Tayyip Erdoğan et le risque de dérive autoritaire du régime turc semblent rendre caduc l’accord passé au printemps avec Ankara sur les réfugiés.

Cet accord prévoyait le renvoi des réfugiés arrivés en Grèce vers la Turquie et le transfert d’un nombre équivalent de réfugiés présents en Turquie vers l’Union européenne. Le tout moyennant de grandes concessions offertes à Ankara par l’Union européenne : la réouverture des négociations d’adhésion dans l’UE, un versement de 6 milliards d’euros et la suspension de l’obligation de visas pour les ressortissants turcs se rendant dans les Etats membres de l’UE.

La condition démocratique oubliée

Cet accord a permis de réduire drastiquement le flux de réfugiés vers la Grèce. Mais l’évolution politique turque le remet en cause. En effet, la levée de l’obligation de visa est, théoriquement, suspendue à la réalisation de « réformes démocratiques ». Avant le coup d’Etat raté du 15 juillet, ces réformes pouvaient déjà être contestées, mais l’UE avait surtout cherché à « maîtriser » cette libre-circulation plus qu’à peser sur le pouvoir turc.

Un système d’urgence avait été négocié pour suspendre cette liberté de circulation en cas, notamment, de reprise d’une crise des réfugiés. Preuve que la priorité était alors moins à la démocratisation de la Turquie qu’à la maîtrise des frontières. Angela Merkel, qui avait été très embarrassée par la polémique autour d’un comique critique du président turc avait tout fait pour éviter le problème de la démocratie.  Mais ce compromis difficile, qui devait permettre de faire tenir l’accord semble désormais appartenir au passé.

La situation politique turque est impossible à ignorer désormais

Compte tenu des arrestations de masse, du limogeage de milliers de juges ou d’universitaires, de la pression sur la presse et du projet de rétablissement de la peine de mort, il n’est plus possible de ne pas poser la question des réformes démocratiques en Turquie. Offrir la liberté de circulation dans un tel contexte offrirait alors la preuve que l’UE a renoncé à ses valeurs pour sauver l’accord sur les réfugiés. Du reste, le gouvernement allemand n’a pas caché son inquiétude vis-à-vis de la tournure que prennent les événements en Turquie. Les condamnations de la réaction du pouvoir turc sont, d’ailleurs, très larges outre-Rhin et vont de la gauche à la droite. La chancelière ne peut en faire bon marché.

Ankara en position de force

Or, Recep Tayyip Erdoğan semble décidé à saisir l’opportunité du putsch manqué pour renforcer son pouvoir et atteindre un des objectifs qu’il s’est fixé depuis 2014 et son élection à la présidence : renforcer les pouvoirs du chef de l’Etat et faire taire toute opposition. Son but est évidemment de ne pas se retrouver dans une position minoritaire et incapable de gouverner comme après les élections de juin 2015. Il est donc peu probable que les pressions européennes – ni même celles de Washington – le décident à changer de voie.

Le problème, c’est évidemment qu’Ankara est en position de force dans cette affaire. Angela Merkel a fait reposer, depuis la fin de l’année 2015 et le moment où elle a décidé d’inverser sa politique migratoire, toute sa stratégie sur la Turquie. Elle a travaillé pour convaincre les Européens de la suivre dans ce chemin et beaucoup de concessions accordées lors de l’accord avaient déjà été évoqué lors du voyage de la chancelière à Istanbul en novembre 2015. Si l’UE ne lève pas l’obligation de visas pour les Turcs, Ankara pourra considérer que l’accord sur les réfugiés dans son ensemble n’existe plus puisque l’UE renonce à respecter une de ses conditions. Dès lors, il peut très bien refuser d’accepter les renvois de Grèce et rallumer le flux de réfugiés en mer Egée. Si, par ailleurs, le rétablissement de la peine de mort est effectif et exclut toute adhésion de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan aura une raison supplémentaire d’agir ainsi et de montrer aux Européens combien il leur est indispensable…

Un échec impossible pour Angela Merkel

L’échec de l’accord sur les réfugiés serait un désastre politique pour Angela Merkel. D’abord parce que cet accord est d’abord le sien et le cœur de sa stratégie de réduction du flux de réfugiés. Ensuite, parce que la chancelière ne peut se permettre la reprise d’une arrivée de réfugiés en Allemagne. Or, la majorité des réfugiés veulent rejoindre l’Allemagne. Certes, Angela Merkel a une stratégie de rechange : maintenir les réfugiés en Grèce par la fermeture de la route des Balkans.

Avant la signature de l’accord avec la Turquie, les arrivées de réfugiés en Allemagne s’étaient déjà réduites en raison de la fermeture de la frontière autrichienne, puis, par ricochet, de toutes les frontières jusqu’à celle entre la Grèce et l’Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM). Mais cette situation était intenable à terme, sur le plan humanitaire et sécuritaire. Les violences enregistrées au camp d’Idomeni l’avaient prouvé. Sur le plan intérieur, la chancelière devra faire face à la critique des Verts et de la SPD social-démocrate pour laisser se développer de telles situations. Or, ces deux partis sont des partenaires de coalition potentiels après 2017… D’où l’empressement européen à signer l’accord avec la Turquie.

Changement d’atmosphère outre-Rhin

Si l’accord turc échoue, la crainte d’une nouvelle vague de réfugiés sera vive en Allemagne. Si le pays a accepté sans réelles difficulté les premières arrivées à l’automne 2015, la situation a beaucoup changé et il ne semble pas prêt à aller plus loin. Un sondage publié par la Frankfurter Allgemeine Zeitung le 19 juillet le confirme : 62 % des élites politiques, économiques et administratives interrogées soutiennent désormais une politique migratoire plus restrictive et 63 % craignent une nouvelle poussée des arrivées de réfugiés. Ils soutenaient pourtant à 50 % la politique d’ouverture du gouvernement de l’an passé. Politiquement, Angela Merkel ne pourra assurer la cohésion de son camp conservateur que si elle assure la poursuite de cette politique restrictive. Et même si les déchirements internes au parti xénophobe Alternative für Deutschland (AfD) l’ont affaibli, il reste une force politique d’importance. Le dernier sondage Forsa pour le magazine Stern publié le 20 juillet lui attribue même 9 % des intentions de vote, un point de plus que la semaine passée.

Pressions de la CDU

Surtout, la chancelière doit ménager de plus en plus la CSU bavaroise qui a adopté un message clairement restrictif sur le plan de l’immigration et qui a toujours été critique sur la politique migratoire de Berlin. Or, le dernier sondage de Forsa est de ce point de vue intéressant : alors que les intentions de vote pour la CDU/CSU reculent d’un point à 35 %, la CSU voit sa popularité grimper de trois points en Bavière à 43 %. Plus que jamais, la chancelière risque donc d’avoir besoin d’une CSU forte pour les élections de septembre 2017. Elle va donc devoir lui faire des concessions sur le plan de la politique migratoire.

Surgissement de la question terroriste

La pression sera d’autant plus forte sur la chancelière que l’Allemagne a, lundi 18 juillet au soir, été pour la première fois depuis le début de la crise migratoire, frappée par le terrorisme islamiste. Un jeune réfugié de 17 ans se réclamant de l’organisation Etat islamique a attaqué à la hache et au poignard des passagers d’un train régional à Würzburg, en Bavière, faisant quatre blessés graves. Le parcours de l’attaquant abattu par la police est celui d’un réfugié classique ne présentant pas de risque particulier. Si la réaction de la classe politique allemande a été plus mesurée que celle de la classe politique française après l’attentat de Nice et a évité tout amalgame entre la masse des réfugiés et cet acte isolé, c’est évidemment un nouveau problème pour Angela Merkel, surtout si de nouvelles attaques ont lieu. Que la CSU a d’ailleurs souligné puisque le ministre de l’intérieur bavarois, Joachim Hermann, a utilisé ce drame pour réclamer un meilleur contrôle des frontières allemandes...

La position d’Angela Merkel est donc délicate : elle ne peut céder à Ankara sur le respect de la démocratie, mais ne peut guère se permettre l’échec de l’accord turco-européen sur les réfugiés. Sa marge de manœuvre est très réduite et, politiquement, la situation est à haut risque.

http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/allemagne-le-casse-tete-d-angela-merkel-apres-le-putsch-manque-en-turquie-587602.html